LA SANTÉ est un sujet « infiniment politique », si l'on en croit Bernard Kouchner. Pourtant, dixit Claude Evin, elle suscite un débat public limité et peine à séduire les élus.
Le paradoxe qui veut que les questions sanitaires, composantes primordiales de la vie des citoyens, soient relativement absentes du débat politique a été au cœur des échanges qu'ont eus, lors d'un colloque organisé dans le cadre d'Hôpital Expo, quatre anciens ministres de la Santé : Michèle Barzach (aux affaires entre 1986 et 1988), Claude Evin (1988-1991), Bruno Durieux (1990-1992) et Bernard Kouchner (1992-1993, puis 1997-1999, et enfin 2001-2002).
Un dossier marginal.
Le constat est général. Si, grâce entre autres à l'impulsion forte donnée par les malades du sida, des progrès ont été faits (notamment par le biais de la loi sur le droit des malades ou par celui, depuis 1996, des lois successives de financement de la Sécurité sociale), la santé reste un dossier marginal dans la vie politique. Le fait que, ainsi que le souligne Michèle Barzach, elle soit en Europe « un des derniers dossiers de politique essentiellement nationale » n'en peut mais. Comparée à la culture ou à l'Education nationale, la santé continue de faire pâle figure. Une situation inouïe quand on pense avec Claude Evin que les questions de santé sont celles « qui accompagnent le plus le citoyen tout au long de sa vie », ou avec Bruno Durieux qu'il s'agit « d'une affaire qui intéresse la cité au plus haut point ». Pourquoi un dossier si intimement lié à la vie de la cité - Michèle Barzach rappelle que, « dans l'ensemble des pays, les dépenses de santé sont majoritairement des dépenses publiques » et Bernard Kouchner raconte qu'en France « le ministère de la Santé est le plus assiégé par les manifs » - ne fait-il pas recette en politique ? Les explications, multiples, s'enchevêtrent.
Trop technique.
La technicité du dossier est mise en avant. Monde « accaparé par les professionnels », selon les termes de Claude Evin, la santé ferait peur aux politiques. Au Parlement, par exemple, les rares députés et sénateurs qui s'intéressent aux questions sanitaires sont eux-mêmes médecins. « C'est à ce titre qu'ils s'impliquent dans les débats, soutient Claude Evin, (...) les autres élus n'ont pas les clés pour entrer dans le débat. » Réunissant un ensemble d'acteurs aux logiques très différentes, la santé est aussi complexe. Michèle Barzach dépeint le système : « Il y a les soignants dont une partie répond à une logique libérale, les produits de santé qui sont sur une logique industrielle et, dans le même temps, une solvabilisation par la puissance publique de l'ensemble du secteur. » Et Bruno Durieux renchérit : « Il y a 25 000 pilotes dans l'avion. »
La réunion sous l'unique vocable de « santé » de choses somme toute très différentes est également source de confusion. Le même Bruno Durieux explique : « Il y a au moins trois politiques de santé : celle qui relève de la santé pure (c'est-à-dire de l'amélioration de l'état de santé des gens) ; celle qui correspond à la gestion de l'appareil de production de biens et de services de santé (c'est le management) ; et l'assurance-maladie. Il faut clarifier tout cela. »
Si la santé « effraie » les politiques, c'est aussi parce que ses ramifications sont sans fin. « Les défis de la santé sont multiformes, estime Michèle Barzach, ils sont financiers, éthiques, démographiques, technologiques... » Qui touche à la santé touche à tout. Ça peut être « paralysant », confesse Michèle Barzach. D'autant plus que, face à la responsabilité croissante des politiques, voire la judiciarisation des affaires, poser un pied sur le terrain de la santé revient à prendre « un risque de plus en plus fort ».
Ultime paradoxe, mis en relief par Bruno Durieux : si la santé ne décolle pas en politique, c'est peut-être parce que, finalement, « il n'y a pas de clivage entre la droite et la gauche sur les questions de santé. (...) On est tous d'accord pour garder le système tel qu'il est et essayer de l'arranger un peu. Même s'il y a des discussions sur des modalités relativement secondaires, sur le fond, il y a consensus ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature