Une semaine après la sortie remarquée des syndicats du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels (CSPRP), les partenaires sociaux restent dans l'expectative au sujet d'un éventuel report du projet de décret controversé sur la réforme de la santé au travail, qui précise en particulier le calcul du temps médical.
Le Dr Bernard Salengro, président du Syndicat général des médecins du travail (SGMT, rattaché à la CFE-CGC), « espère un report du décret, parce que personne n'est d'accord ». Le secrétaire général du Syndicat national professionnel des médecins du travail (SNPMT), le Dr Lionel Doré, s'étonne que le ministre François Fillon « tranche avant d'avoir reçu le prochain rapport de l'IGAS [inspection générale des Affaires sociales, NDLR] qui doit évaluer la politique d'agrément des services de santé au travail ». Le SNPMT mise d'autant plus sur ce nouveau « diagnostic » attendu au printemps que le dernier rapport annuel de l'IGAS (« le Quotidien » du 18 juin), présenté en juin par le ministre de la Santé, Jean-François Mattei (1), « allait dans (son) sens à propos des dysfonctionnements et du problème de l'indépendance de la médecine du travail ».
Du côté patronal, Gabriel Paillereau, délégué général du CISME (2), qui regroupe 350 services interentreprises de santé au travail, souligne, au contraire, quelques jours après le « clash » du CSPRP, que la concertation a assez duré. « L'administration a fait ses choix, constate Gabriel Paillereau. La mouture actuelle ne nous convient pas sur un certain nombre de points, mais il faudrait, à un moment donné, arrêter de discuter et prendre les choses telles qu'elles sont. »
Contre-vérité
Pour le délégué général du CISME, affirmer, comme l'ensemble des syndicats, que le futur décret correspond au « projet des employeurs » est « une contre-vérité ». D'une part, explique-t-il, le projet de décret prévoit « un renforcement de l'indépendance du médecin du travail (durcissement des conditions de licenciement, NDLR) et du contrôle social des services ». D'autre part, les employeurs « n'ont été écoutés qu'en partie sur le temps médical ». Le CISME et le Medef « avaient proposé une moyenne de 3 500 à 3 800 salariés suivis par un médecin du travail, tandis que le ministère a retenu le chiffre de 3 300, et c'est un plafond ». De même, le CISME considère que le ministère des Affaires sociales devrait prévoir « peut-être des dérogations » au plafond de 450 entreprises ou établissements surveillés par un médecin du travail à plein-temps (contre environ 300 aujourd'hui), notamment dans le secteur de l'artisanat.
Visite biennale pour 75 % des salariés
Surtout, Gabriel Paillereau conteste les propos du Dr Doré sur « le stakhanovisme » auquel seraient désormais condamnés les médecins du travail, avec 3 200 examens cliniques au maximum par an. Le délégué général du CISME rappelle que la réforme en cours apporte « la nouvelle donne de la visite biennale (et non plus annuelle, NDLR) pour les salariés sans surveillance médicale renforcée, soit 75 % de l'ensemble des salariés ».
Par conséquent, il assure que les conditions de travail des médecins vont au contraire progresser de façon considérable, avec une moyenne de « 14 à 16 examens médicaux par jour, représentant quatre à cinq heures d'activité clinique » et au moins 150 demi-journées par an passées en milieu de travail, soit « 35 % au minimum (de leur) temps », sur la base d'une moyenne annuelle de « 200-217 jours de travail effectif ».
S'il reconnaît que, demain comme hier, le médecin du travail « ne pourra pas en personne rendre visite à toutes les entreprises » de son ressort, Gabriel Paillereau précise que « là où le médecin ne peut pas aller physiquement, il est important qu'il intervienne à travers une équipe pluridisciplinaire ou une approche par branche ou par risque ».
Or les syndicats ont dénoncé le manque de garanties sur l'indépendance, la compétence (formation requise bac + 2) et l'expérience des futurs intervenants en prévention des risques professionnels (IRPP). « Il n'y a pas suffisamment matière à s'inquiéter », réplique le délégué général du CISME, ne se référant qu'aux « garanties supplémentaires » que pourront apporter la convention collective en cours de révision et les contrats de travail. Patronat et syndicats s'accordent néanmoins sur un point : ils rejettent tous le projet du ministère de reconnaître la qualification d'IRPP à une personne qui a siégé au moins 4 ans dans un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Les partenaires sociaux s'opposent aussi conjointement au « numerus clausus de fait » (d'environ 200 places) imposés par les enseignants dans le dispositif de reconversion des médecins généralistes à la médecine du travail après une formation en alternance de deux ans (« le Quotidien » des 13 octobre et 27 novembre). Après enquête auprès de ses adhérents, le CISME évalue en effet à « un peu plus de 200 » le nombre de médecins généralistes déjà ou bientôt recrutés par les seuls services interentreprises de santé au travail (hors les services de médecine de prévention du secteur public) dans ce cadre.
(1) Rapport IGAS 2003 intitulé « Santé, pour une politique de prévention durable », consultable sur Internet : http://www.social.gouv.fr/htm/minister/igas/IGAS_2003.pdf.
(2) Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise.
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