« Un décès par heure travaillée, un accident grave à la minute, un accident avec arrêt toutes les six secondes pour l'ensemble des salariés » : reprenant l'évolution des accidents du travail et des maladies professionnelles depuis la création de la revue il y a vingt ans, son rédacteur en chef constate que ce calcul effectué à l'époque est toujours valable. Et « force est de constater que l'actuel projet de loi relatif à la modernisation du système de santé ne comprend aucun passage sur l'environnement au travail et que la même absence se retrouve dans le dernier rapport de la Conférence nationale de santé », ajoute-t-il. Les témoignages continuent pourtant à s'accumuler, et ce numéro est riche en nouvelles contributions, toutes dûment accompagnées de grosses bibliographies.
« La santé au travail est une mission d'ordre public et, en même temps, un enjeu de démocratie », estime Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche INSERM sur les « enjeux contemporains en santé publique ». Pour elle, « le droit à la vie et à la santé fait partie des droits fondamentaux universels » et c'est donc à l'Etat de garantir ce droit. Par exemple, note-t-elle, l'interdiction de l'amiante a été une décision politique de santé publique. Mais elle estime que l'évaluation et la gestion des risques professionnels ne peuvent être cantonnées à des pratiques d'experts : « La protection de la santé au travail suppose l'exercice effectif de contre-pouvoirs construits non seulement à partir de connaissances spécialisées, mais de l'expérience et des savoirs des femmes et des hommes acteurs dans le travail. » D'où un appel au mouvement syndical pour qu'il transforme ses modes de représentation et d'action, afin de « légitimer la représentation et la parole des travailleurs et travailleuses rendus invisibles par la division sociale et sexuelle du travail ».
Les conséquences du travail précaire
Plusieurs auteurs d'articles de la revue constatent que l'aggravation de l'état de santé est notamment liée au développement massif et très rapide de la précarité de l'emploi, qui se traduit par le chômage et la multitude de statuts : contrats à durée déterminée, intérim, emplois aidés. L'aggravation des conditions de travail s'ajoute alors à une fragilisation des salariés et de leur entourage. Les bouleversements qui conduisent les entreprises à modifier leurs structures et leur organisation génèrent aussi des contraintes très fortes : le « flux tendu » supprime les stocks et contraint à produire pour une vente immédiate, la polyvalence entraîne une rotation des salariés entre plusieurs postes.
S'y ajoutent la généralisation de la flexibilité par l'individualisation des rémunérations, le développement des horaires atypiques, le recours au temps partiel, à la sous-traitance, à l'intérim. En vingt ans, les expositions à des environnements physiques contraignants, à une mauvaise conception des postes de travail ont peu évolué et les atteintes à la santé liées aux produits toxiques sont de plus en plus mises en évidence.
Des propositions
De plusieurs articles se dégagent alors des propositions : meilleure observation, application des principes de précaution, construction des outils nécessaires à la prévention, modification des processus de travail, autre logique de reconnaissance et de réparation des maladies professionnelles.
Pour Henri Pézerat, toxicologue, « le temps est venu de redéfinir l'ensemble des structures de recherche et de veille sanitaire en matière de santé au travail, ce qui implique une remise en cause tant des prérogatives des employeurs en matière d'identification et de gestion des risques, que des institutions fondées sur le paritarisme ».
Pour lui, le mode de gestion des organismes de recherche et d'expertise doit être « entièrement repensé pour assurer l'efficacité, la transparence et un contrôle fondé sur la dynamique d'un mouvement social où les victimes devront jouer un rôle essentiel ». Pour cela, un autre auteur, le Dr Omar Brixi, épidémiologiste et enseignant de santé publique, en appelle à « un débat social et politique autour de la santé au travail ».
« Prévenir » n° 40, 256 pages, 160 F, CVM, BP 92, 13362 Marseille Cedex 10, tél. 04.91.18.49.58, fax 04.91.18.49.62.
Vingt ans de réflexion
Pendant vingt ans, à raison d'un, puis deux numéros par an, la revue « Prévenir » a exploré tous les domaines sociosanitaires à travers des articles de médecins, chercheurs, spécialistes en sciences humaines ou simples intervenants de terrain apportant le fruit de leur expérience et de leur réflexion autour d'un même thème.
Pour des raisons économiques, cette collection se termine sur son numéro 40, dont le sujet, « Santé-Travail », poursuit une réflexion engagée depuis sa création : le premier numéro s'intitulait « Chômage et Santé », le deuxième, « Travail et Santé ».
« La Coopérative d'édition de "la Vie mutualiste", depuis vingt ans, a assuré seule, à l'exception d'une subvention modeste et récente du Centre national du livre, le financement du titre », précise Dominique Durand, rédacteur en chef de la revue.
Outre la réduction des budgets des fonds de documentation publics ou privés (la revue était un précieux outil de travail pour nombre d'étudiants, de chercheurs et d'intervenants) et la concurrence d'Internet, il évoque la recomposition du mouvement mutualiste. Lequel étudie toutefois les possibilités d'assurer, sous une autre forme, la pérennité du titre.
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