Les ex-conseillers ministériels Louis Schweitzer, actuel P-DG de Renault, et François Gros (Matignon), Charles-Henri Filippi et Patrick Baudry (Affaires sociales) et le Dr Claude Weisselberg (Santé), ainsi que 25 autres personnes mises en examen dans le troisième dossier du sang contaminé 1984-1985, parmi lesquelles 22 médecins, dont le Dr Garretta, n'ont pas à se retrouver devant une juridiction de jugement.
C'est là, tout du moins, la décision prise, le 4 juillet, par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris. Il n'y a pas lieu à poursuivre quiconque « sous quelque qualification que ce soit ». Les 40 parties civiles n'en reviennent pas, de même que le parquet général qui s'est prononcé, le 26 mars 2002, pour un renvoi en correctionnelle. Un non-lieu en guise de point final judiciaire d'un drame sanitaire qui demeurera à jamais un scandale dans la chair des victimes et de leur proches ! La juge parisienne Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui a ouvert son instruction en 1994, retenant des qualifications criminelles (empoisonnement) à l'encontre de 7 personnes, dont le Dr Garretta, et délictuelles (homicides involontaires), demandait pour sa part la comparution aux assises, les faits invoqués étant « connexes ».
Seule la défense des prévenus, tout en étant « médusée » par l'effet d'annonce de la sentence du 4 juillet, se sent comprise. Depuis le 10 juillet 2000, date de promulgation de la loi relative aux délits non intentionnels, elle plaide pour le non-lieu. Grâce à cette nouvelle législation - à laquelle l'arrêt du 4 juillet ne fait pas allusion (1) - il appartient à l'accusation de prouver l'existence d'une faute « caractérisée » et de démontrer que l'auteur ne pouvait ignorer qu'il exposait autrui à un risque d'une particulière gravité.
Le lien de causalité
Dans leurs attendus, les 3 magistrats de la 4e chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris affirment que les « prescripteurs » n'ont pas « eu connaissance du caractère nécessairement mortifère des dérivés sanguins », dont, par ailleurs, ils n'étaient pas « maîtres » du choix. Quant au test Abbott, sa « fiabilité » n'était pas assurée, et aucune preuve n'est apportée que sa mise sur le marché tardive ait eu des conséquences dommageables (2). Aussi, selon les juges, rien ne permet « d'établir (de) lien de causalité entre les actions reprochées aux mis en examen et le dommage aux victimes ». L'arrêt, enfin, ne traite pas du cas de certaines parties civiles, comme les Gaudin, et remet en cause l'origine de la contamination par voie transfusionnelle de Sylvie Rouy, pourtant validée lors du procès des ministres par la Cour de justice de la République (CJR).
En définitive, la 4e chambre de l'instruction ne se fonde pas sur un motif de procédure, mais exprime, souligne-t-elle en substance, une divergence, de nature juridique, dans l'appréciation des faits par rapport aux conclusions de la juge d'instruction.
Est-ce à dire que le sang noir, qui a coûté, déjà, la vie, à plus de 600 personnes sur quelque 1 300 hémophiles et 2 500 transfusés infectés (VIH), doit sortir des prétoires pénaux ? Le procès des ministres Fabius, Dufoix et Hervé sera-t-il le dernier ? Les Drs Garretta et Allain doivent-ils se sentir définitivement libres dans ce drame sanitaire (voir encadré) ?
Défaut de réponse
Pour les victimes, leurs familles et leurs proches, il existe une lueur de justice du côté de la cassation. Le procureur général de la cour d'appel de Paris, Jean-Louis Nadal, « en liaison étroite » avec le ministre de la Justice Dominique Perben (conformément à une prérogative attribuée au garde des Sceaux par le code de procédure pénale), a saisi, en effet, la haute juridiction pénale, le 8 juillet. Il justifie son pourvoi par « l'insuffisance ou la contradiction des motifs » dans l'arrêt du 4 juillet, et le « défaut de réponse aux demandes des parties ». Il appartiendra à la Cour de cassation, non de remettre en cause les faits mais d'examiner les moyens de droit soulevés. Et il n'est pas exclu qu'elle saisisse une chambre de l'instruction pour entendre à nouveau les parties en présence, dans un an au plus tôt.
Dix-sept ans après les premières contaminations, le scandale du sang contaminé ne peut être enterré judiciairement. Un troisième procès reste possible en correctionnelle, sans doute, dans deux ans, peut-être. Alors que « si la décision de la chambre de l'instruction est confirmée (en cassation, dans la courant de l'année 2003), aucun scandale mettant en cause la santé et l'alimentation des Français ne pourra être jugé », selon les hémophiles et les transfusés infectés, forts du soutien des victimes de l'hormone de croissance extractive et de la MCJ.
(1) La loi du 10.7.2000 demeure un atout majeur pour la défense dans des affaires sanitaires, telles que l'amiante, le Distilbène, le VHC, la vache folle et l'hormone croissance infectée. Dans cette dernière, la 4e chambre chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, présidée jusqu'à présent par Francine Caron, sera conduite à trancher à nouveau, en septembre prochain.
(2) La juge Bertella-Geffroy estime que 580 contaminations auraient pu être évitées, dont 272 de transfusés entre le 20 mars et le 31 décembre 1985, et de 298 à 315 chez les hémophiles à partir de novembre 1984.
Les deux précédents procès
Produits antihémophiliques
Jugement d'appel le 13 juillet 1993 : 4 ans ferme pour le Dr Garretta, 4 ans, dont 2 avec sursis, pour le Dr Allain, 3 ans avec sursis pour le Dr Roux et 1 an avec sursis (amnistié) pour le Dr Netter.
3 ministres devant la CJR
Le 9 mars 1999 : Fabius et Dufoix, relaxés, Hervé, condamné, avec dispense de peine, pour homicide involontaire et atteinte à l'intégrité de la personne.
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