«DANS CETTE SOCIÉTÉ véhiculant des facteurs de stress à l’origine de multiples pathologies, les omnipraticiens ne devraient-ils pas réfléchir au moyen de limiter, voire d’inhiber, au sein de leurs salles d’attente, l’anxiété des patients liée à leur mode de vie et accrue par l’attente d’un diagnostic?»: Fabien Riaud posait la question en introduction de sa thèse de médecine, soutenue il y a cinq ans à Clermont-Ferrand et consacrée à la« salle d’attente idéale des médecins généralistes »*. Près de quinze ans plus tôt, l’une de ses consoeurs, le Dr Sylvie Bertoliatti-Fontana, s’était déjà penchée sur le sujet, qui, à son regret, n’a «jamais été abordé au cours des huit années d’études médicales».
En 2007, il en est de même : la salle d’attente ne figure dans aucun programme, restant plutôt livrée au bon sens (et au bon goût) des médecins prêts à visser leur plaque.
Une étape de l’acte médical.
La salle d’attente est une «sorte de non-lieu, d’endroit en dehors du temps où le patient est en attente d’une rencontre (...), une scène entre deux situations violentes: celle de l’extérieur, où le besoin est déjà là, et celle de l’intérieur, où le soin doit être donné», analyse le Dr Riaud, qui s’interroge : «Ne doit-on pas considérer l’événement de vie au sein de la salle d’attente comme une étape de l’acte médical?» Pour le Dr Béatrice Lafarge, chirurgien esthétique à Paris, ce lieu est «fondamental». «Les médecins ont de moins en moins de temps, mais ils doivent reprendre cela en main. Je pense qu’ils peuvent faire beaucoup dans leur salle d’attente, même s’ils n’en ont pas toujours les moyens.» Il doit, selon elle, y régner une «atmosphère chaleureuse et déstressante». Mais pas trop non plus, ajoute-t-elle . «Pour ne pas mettre mal à l’aise les personnes qui viennent d’un milieu social plus modeste.»
Robinetterie à infrarouge.
L’étude qu’a menée le thésard en 2001 portait sur plus de 550 salles d’attente (566), rapportant l’avis de 223 patients et 551 médecins. Elle a permis de dresser un portrait-robot de la salle d’attente en médecine générale : elle n’est pas conçue par un architecte, date de quinze ans – et a fait l’objet d’une réfection six ans auparavant –, et ne possède pas de fond musical, ni d’aquarium ni d’information médicale audio-visuelle. L’enquête du Dr Riaud révélait également des éléments qu’il jugeait «préoccupants» : 90 % des salles d’attente des médecins généralistes n’étaient pas, en 2001, accessibles aux personnes handicapées ; 97,5 % n’avaient pas les moyens de lutter contre les risques de contagiosité et 76 % ne proposaient pas de zone d’accueil pour les enfants. En outre, 67 % des cabinets n’avaient pas de secrétaire médicale et 49,3 % ne proposaient pas d’information de prévention médicale (de type revue).
En revanche, 78 % des généralistes interrogés par leur futur confrère considéraient que «l’événement de vie au sein de la salle d’attente influence la relation patient-médecin» et plus de 60 % se disaient prêts à en améliorer l’aménagement. De leur côté, 58 % des patients disaient accepter d’attendre plus longtemps si le cadre était agréable.
Fabien Riaud a pu, à l’issue de son travail, définir la salle d’attente idéale : lignes arrondies, haute de plafond, offrant 4 m2 par patient, avec des fauteuils roses, jaunes ou vert pastel, et une luminosité naturelle forte, mais peu éblouissante. Les surfaces devraient être lessivables, l’air renouvelé constamment, l’entretien quotidien. La salle d’attente idéale devrait comporter un lavabo aux robinets à infrarouge (on n’a pas besoin de les toucher), des serviettes en papier à usage unique et du savon liquide à bouton-pressoir. Et la durée d’attente… ne devrait pas excéder dix minutes.
L’envol des petits poissons.
Et les patients, qu’en disent-ils ? Fanny avoue et justifie une légère tendance à déchirer et à emporter les recettes de cuisine qu’elle trouve dans les magazines disposés dans la salle d’attente de son médecin.
«Parce que c’est déjà honteux de nous coller des magazines people qui ont au moins six mois d’âge. Parce que ces magazines sont souvent déjà bien abîmés et mal rangés, en gros tas, même pas droits, qui donnent vraiment l’impression d’un alibi et pas d’une réelle réflexion, d’un réel souci d’agrémenter le temps d’attente des patients qui est parfois très long. Si mon médecin se moque de ce temps-là, alors je ne le respecte pas non plus. Ce n’est pas très malin, mais ce n’est pas systématique non plus. Le plus souvent, je ne dégrade rien du tout.»
«Quand c’est bien propre, les patients font attention», témoigne à l’inverse l’épouse du Dr Thierry Perret, généraliste à Dijon, qui assure le secrétariat de ce cabinet du centre-ville dijonnais, où un piano orne le couloir menant à la salle de consultation. «Certains patients ont pris l’habitude de venir en avance à leur rendez-vous, le soir généralement, et jouent en attendant leur tour. C’est très agréable pour tout le monde, explique Joëlle Perret. Nous avons tenté de passer une musique douce dans la salle d’attente, mais nous y avons renoncé au bout d’un mois. Les patients nous disaient: “On entend de la musique partout, dans les magasins, parfois même dans les transports en commun. Alors, s’il vous plaît, laissez-nous profiter du calme dans la salle d’attente.”. »
Contrairement à l’une de ses consoeurs, généraliste de la région parisienne, qui a récemment déploré le saccage de ses nouveaux fauteuils colorés, le Dr Claude Benguigui, ORL dans une zone franche de Montpellier, ne signale aucune dégradation dans sa salle d’attente. Sauf que… trois de ses petits poissons se sont évaporés de son aquarium il y a six mois. «Sûrement des enfants ou bien des personnes pas très saines», excuse-t-il.
En 1985, les patients revendiquaient la présence de sanitaires et l’interdiction formelle de fumer dans les salles d’attente. Il y a déjà là un progrès.
* « La salle d’attente idéale des médecins généralistes », soutenue par Fabien Riaud, 2001, disponible sous le numéro 46 à la Bium (Bibliothèque interuniversitaire de médecine), à Paris.
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