Rarement population s'est autant mobilisée pour sauvegarder les activités d'un hôpital de proximité. L'histoire se déroule dans le Sud-Aveyron, où vivent 80 000 personnes. A Saint-Affrique plus précisément, dont l'hôpital a été fusionné avec celui de Millau, il y a trois ans, sur décision de l'agence régionale de l'hospitalisation de Midi-Pyrénées (ARH). C'est un protocole présenté le 20 août dernier par l'ARH qui a mis le feu aux poudres.
Ce texte prévoyait une spécialisation des hôpitaux de Saint-Affrique et de Millau, la chirurgie et la réanimation revenant à Millau, Saint-Affrique développant la cardiologie et la rééducation fonctionnelle. Les habitants de Saint-Affrique n'ont pas supporté la fermeture programmée, à partir du 1er novembre, des 35 lits de chirurgie et des 5 lits du service réanimation de leur hôpital. La suite, on la connaît. Les media s'en sont largement fait l'écho. Manifestation le 11 octobre, opération « bâches noires » à l'hôpital deux jours plus tard, référendum le 19 octobre qui a révélé une écrasante majorité de « non » au protocole.
L'ARH ne semblant pas disposée à retirer le protocole, les manifestants sont passés à la vitesse supérieure. Le 22 octobre, cinq personnes - un médecin, une infirmière, deux aides-soignantes et un pompier - entament une grève de la faim, tandis que 4 000 personnes s'allongent sur le bitume de Saint-Affrique. Le 27 octobre, plusieurs centaines d'opposants au protocole bloquent le chantier du viaduc de Millau. La compagnie Eiffage met ses employés au chômage technique, et évalue à 300 000 euros par jour le préjudice subi, sans pour autant demander l'évacuation du site. Le 28 octobre, Jean-François Mattei s'en mêle : il annonce la suspension du protocole de l'ARH dans l'attente d'une enquête de l'IGAS.
Le 29 au soir, c'est le dénouement : l'ARH envoie un courrier au préfet de l'Aveyron qui provoque le soulagement : « Les cinq lits de réanimation resteront opérationnels (...) , les lits de chirurgie restent inscrits au programme de l'établissement jusqu'aux conclusions de la mission d'inspection (...) , l'activité de radiologie est maintenue sur les deux sites avec une astreinte assurant la pérennité des activités de maternité et d'urgences 24 h/24. » Les manifestants jugent l'avancée « significative », et décident d'arrêter leurs actions. L'occupation du chantier du viaduc aura duré trois jours. La grève de la faim, huit.
Du côté de l'ARH aussi, on se sent soulagé. Comme l'explique, son directeur, Pierre Gauthier : « Les actions suivies ont été d'une gravité exceptionnelle, sans précédent. Tout est fini, heureusement. Notre courrier a apporté des précisions nécessaires ; les gens ont compris que l'objectif n'est pas la fermeture du site de Saint-Affrique, mais l'adaptation de l'offre de soins en fonction des besoins et de la démographie médicale. » La réorganisation que propose l'ARH constitue à ses yeux le seul moyen d'assurer un avenir à Saint-Affrique, en déficit de 5 millions d'euros.
Jacques Godfrain, le député UMP et maire de Millau est également de cet avis. « Le regroupement des moyens des deux petits hôpitaux est indispensable pour faire face à de gros centres comme Albi, Rodez ou Béziers. » Pour expliquer le conflit passé, l'élu invoque le « manque dramatique de politique de dialogue » de l'ARH, et surtout, il accuse ouvertement le maire socialiste de Saint-Affrique « d'avoir mis de l'huile sur le feu pour jouer ensuite les pompiers ». « Aujourd'hui, la presse locale le décrit comme un Dieu vivant. Or c'est moiqui ai obtenu la reconnaissance de l'exception géographique pour la maternité de Saint-Affrique, c'est moi qui me suis battu pour que Saint-Affrique existe vraiment, affirme Jacques Godfrain . Ceux qui m'accusent de manuvrer auprès de l'ARH pour couler Saint-Affrique font de la fausse propagande ».
Millau est l'ouvrière, l'autre bourgeoise
Si le député-maire tient à ce point à défendre son image, c'est que l'affaire localement a pris une tournure politique. « La perspective des élections régionales complique tout », concède le directeur de l'ARH. Jacques Godfrain est en effet tête de liste UMP dans la région, tandis que le maire de Saint-Affrique se présente sur la liste du PS. Ce dernier admet l'existence d'un enjeu politique dans cette affaire. « Mais ce n'est pas un bras de fer entre deux maires, rectifie-t-il. C'est un bras de fer entre le maire de Millau, qui seul a défendu le protocole, et les 58 maires du secteur sanitaire, qui s'y opposent. » Pour le socialiste Alain Fauconnier, « l'affaire va bien au-delà d'un problème de santé publique. C'est une agression inadmissible de supprimer cinq lits de soins intensifs sur un territoire enclavé. Ces lits ont sauvé des centaines de vies. Cet été, avec la canicule, le protocole de l'ARH aurait causé une vingtaine de morts. Les gens se sentent abandonnés, c'est ça qui est insupportable. »
Pour le directeur de l'ARH, « on comprend mieux la situation quand on sait que, localement, le climat social est très difficile à tous les niveaux, et pas uniquement sur le plan hospitalier ».
L'histoire, la culture de ces deux villes sont très différentes. Millau, ancienne ville ouvrière, est très fière de son hôpital neuf, qui attire les praticiens de tous côtés. Saint-Affrique, agricole et bourgeoise, se situe au coeur du plus petit bassin de vie français (28 000 habitants). Son hôpital tourne moins bien qu'il y a vingt ans.
« Entre Millau et Saint-Affrique, les querelles de clocher remontent à plusieurs siècles, la mésentente entre les deux communautés de médecins existait bien avant la fusion des hôpitaux », déclare Geneviève Nicolas, infirmière à Saint-Affrique depuis 1989 et ancienne gréviste de la faim. « Certes, nous n'avons jamais réussi à accoucher d'un projet médical commun, concède le Dr Jean-Dominique Gonzales, psychiatre à Millau. Mais quand deux personnes ne couchent pas ensemble, il ne peut pas y avoir d'enfant. »
Le ton est donné. On pourrait pourtant s'attendre à un discours plus modéré de la part du Dr Gonzales, qui se trouve être le président de la CME du centre hospitalier intercommunal (CHIC) Millau - Saint-Affrique. Mais pour lui, impossible d'être neutre. Son camp est choisi : ce sera Millau, et Millau seul. Les praticiens hospitaliers des deux villes, « rivaux depuis toujours », n'ont jamais digéré « le mariage forcé » que leur a imposé l'ARH en 2000, explique le Dr Gonzales. Le psychiatre ne voit qu'une issue à la crise : « la défusion » des deux hôpitaux.
Une solution que refuse tout net le directeur de l'ARH. « La fusion a raté car elle n'a pas été précédée d'un projet médical. Saint-Affrique a du mal à trouver son identité au sein du CHIC. Il faut y remédier. » Sa recette pour que prenne la mayonnaise : « Il faut organiser des lieux de dialogue entre les deux sites. » Le rapport de la mission IGAS est attendu pour bientôt. Peut-être retiendra-t-il cette option.
Le Dr Emile Mania, chef de service de médecine générale à Saint-Affrique et ancien gréviste de la faim, espère quant à lui que la mission IGAS retiendra les notions de proximité et d'égalité d'accès aux soins. « J'attends de la mission qu'elle nous donne des solutions, mais aussi qu'elle nous dise comment on a pu en arriver là trois ans après la fusion. » Le Dr Mania revient sur le sens de son action. « Grâce à notre grève, on est parvenu à se faire entendre. On a réussi une sortie honorable par le haut : demander plus à l'ARH, après son courrier au préfet, aurait été excessif et irresponsable. Mais on reste vigilant. Si les bonnes décisions ne sont pas prises, on est tous prêts à recommencer la mobilisation. »
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