CONGRES HEBDO
Certains problèmes méritent cependant d'être rappelés, pour tempérer un enthousiasme chirurgical trop systématique vis-à-vis des coiffes rompues :
- malgré une réparation anatomique réussie et se pérennisant dans le temps, le retour à une fonction scapulaire n'est qu'exceptionnellement obtenu ;
- une réparation anatomique initialement satisfaisante peut, secondairement, très bien faire l'objet d'une rupture itérative ;
- cette chirurgie réparatrice exige une rééducation postopératoire prolongée.
Ces notions doivent donc nous rendre extrêmement prudents dans l'indication chirurgicale de réparation.
Des indications sélectives
Pour assurer le bien-fondé d'une décision de réparation chirurgicale de coiffe, il importe de pouvoir dresser le profil des ruptures pour lesquelles l'absence de chirurgie risque de se révéler plus préjudiciable pour l'avenir fonctionnel et/ou arthrosique que l'option chirurgicale.
La connaissance de la biomécanique élémentaire de l'épaule permet de comprendre que certaines distributions lésionnelles au sein de la coiffe vont être plus compromettantes que d'autres sur la fonction et sur les rapports anatomiques des constituants articulaires.
Ces localisations « à risque » sont candidates encore plus fortement que d'autres à la réparation chirurgicale.
On se souvient que, anatomiquement, les trois principaux éléments de la coiffe des rotateurs sont, en avant, le subscapularis (sous-scapulaire), en arrière, l'infraspinatus (sous-épineux) et, en haut, le supraspinatus (sus-épineux). Cet ensemble cohérent a un rôle critique dans le bon fonctionnement de l'épaule.
Bien que constituées d'unités musculo-tendineuses, ces unités n'ont pas le rôle traditionnel de mobilisation articulaire ; elles servent surtout à optimiser le centrage articulaire, pour permettre une mobilisation efficace et stable, quelles que soient les circonstances d'usage de cette articulation extraordinairement mobile. Ce centrage optimal résulte d'une action harmonieuse et équilibrée des différents éléments de l'ensemble, appelé coiffe. Dans cette fonction essentielle, la coiffe se trouve déréglée, soit par rupture d'un de ses éléments constitutifs, soit par rupture combinée, d'emblée, ou secondairement de plusieurs de ses éléments. Ce n'est pas nécessairement le nombre d'éléments lésés qui dicte l'importance de la perturbation fonctionnelle induite. Certaines distributions lésionnelles sont plus préjudiciables que d'autres, à la fois pour la fonction proprement dite, mais également pour le devenir ultérieur de l'articulation, qui poursuit sa fonction sur un mode défectueux (potentiel arthrogène qui résulte du défaut de centrage induit par la ou les lésions). L'étude clinique sur le long terme de l'histoire naturelle évolutive des lésions de la coiffe permet ainsi d'observer que, si les lésions pures du supraspinatus ne se dégradent pas obligatoirement, les ruptures de ce tendon débordant sur l'infraspinatus et/ou le subscapularis ont une tendance à s'aggraver ou à être mal tolérées. Il en va différemment des ruptures pures ou isolées du subscapularis et de l'infraspinatus qui ont un potentiel de dégradation naturel caractérisé. Ainsi, dès le stade de l'analyse du profil anatomique ou de la distribution anatomique, se créent les premiers fondements d'une indication chirurgicale sélective, c'est-à-dire s'adressant préférentiellement aux ruptures les plus péjoratives, pour lesquelles la non-intervention risque de se révéler plus défavorable qu'un résultat chirurgical, fût-il jugé modeste.
Les situations désavantageuses pour la chirurgie
Une fois le projet chirurgical légitimé par le profil de distribution anatomique lésionnel, il convient de tenir compte, avant de l'entreprendre, de ses chances de succès ou, plus exactement, de ses risques d'insuccès. En effet, pour le justifier, les muscles qui correspondent aux tendons rompus doivent pouvoir redevenir fonctionnels après réparation du tendon. Ce n'est guère le cas lorsque le muscle en question a subi un phénomène dit de dégénérescence graisseuse du fait de son non-usage. Cette dégénérescence peut être plus ou moins profonde et, donc, plus ou moins réversible après réparation. Il importe donc de quantifier le degré de dégénérescence subi. Cette quantification passe par une étude scanner et/ou IRM de chaque muscle impliqué. Elle se fait à la fois de façon individuelle pour chaque muscle et de façon globale pour l'ensemble des muscles de la coiffe. Elle attribue des niveaux de dégénérescence gradués en fonction de son importance. Plus le niveau de cette dégénérescence sera profond, moins grandes seront les chances de voir se rétablir un muscle fonctionnel après chirurgie.
Selon un ordre d'idées similaires, pour un tendon donné, l'étendue anatomopathologique de sa zone lésionnelle (rupturaire) fait varier les perspectives d'obtention d'une réparation satisfaisante. En effet, cette dernière dépend de la possibilité restante de suturer ou de réinsérer des tissus tendineux suffisamment solides et vitaux. Or ces moignons ou éléments tendineux que l'on peut raisonnablement soumettre à réparation sont les résidus persistant après élimination, au sein de la coiffe, des tissus de qualité médiocre (nécrosés, dilacérés, dévascularisés, etc.).
La perte de substance sur la coiffe, produite par cette élimination première des tissus dénués de capacité de régénération et de solidité mécanique, peut compromettre la possibilité de réaliser une réparation conservant des chances de cicatriser, c'est-à-dire non soumise à une tension excessive ou à un déséquilibre massif au sein de l'ensemble des éléments de la coiffe. L'appréciation de l'existence ou non de conditions satisfaisantes à la réalisation d'une chirurgie acceptable passe donc à la fois par l'étude préalable de l'état musculaire en amont du tendon concerné et de l'état tendineux qui sera disponible pour reconstruction, après élimination du tissu tendineux condamné.
Les réparations envisageables
En fonction de la situation lésionnelle présente, on se doit de faire appel à la technique de réparation la plus appropriée. De façon schématique, on peut envisager deux grands modes de réparation des coiffes rompues :
- la réparation des tendons rompus en leur place anatomique ;
- les réparations faisant appel à des lambeaux musculaires ou musculo-tendineux de voisinage.
Les réinsertions de tendons à leur place anatomique dépendent, avant tout, d'une faible étendue de l'interruption de continuité tendineuse ou, à défaut, d'une possibilité d'avancement du muscle concerné vers la zone de réparation.
Les réparations par lambeaux régionaux s'adressent aux ruptures non réparables in situ.
Ces lambeaux sont variés et prennent en charge des situations lésionnelles bien définies :
- le lambeau deltoïdien (musculaire) ou Latissimus dorsi (tendino-musculaire du grand dorsal) offrent une solution acceptable aux ruptures étendues des tendons supra- et infraspinatus ;
- les lambeaux du trapèze supérieur (musculaire) ou Pectoralis major (tendino-musculaire du grand pectoral) sont plus spécialement conçus pour les ruptures du subscapularis.
Des gestes complémentaires (résection du tendon du biceps, acromioplastie) peuvent ou non accompagner ces réparations proprement dites. Ils seront décidés sur la base d'une analyse individualisée à chaque patient.
Une rééducation de toute façon opiniâtre
Quel que soit le mode de réparation finalement sélectionné, la rééducation postopératoire est longue. La période postopératoire immédiate exige, en général, une immobilisation sur attelle, le plus souvent en élévation latérale.
C'est l'opérateur, en fonction du geste réalisé, qui définit le protocole le plus approprié à la technique utilisée.
Dans les réinsertions tendineuses, une mobilisation passive douce au-dessus du plan de l'attelle est commencée le plus rapidement possible ; le patient est alors transféré dans un centre de rééducation spécialisé et il ne commence à être sevré de son attelle qu'aux alentours de la sixième semaine postopératoire, terme auquel commence la mobilisation active. Celle-ci a d'ailleurs pu déjà commencer, pour certains mouvements, dans l'attelle elle-même. Cette mobilisation active se poursuit au centre pendant une ou deux semaines, suivie de la kinésithérapie de ville pendant encore un ou deux mois. Par la suite, au terme du troisième mois, l'opéré peut reprendre en main sa rééducation en faisant plusieurs fois par jour des séries répétitives de mouvements actifs (élévation antérieure, élévation latérale, rotations, etc.). Une surveillance périodique par l'opérateur reste souhaitable. Les travaux de force, membres supérieurs au-dessus des épaules, sont, de toute façon, déconseillés.
A peu de chose près - positionnement initial de l'attelle, durée d'immobilisation -, les programmes de rééducation après réparation par lambeau de voisinage procèdent des mêmes principes que ceux déjà décrits. A noter que, en cas de lambeau de Pectoralis major, il n'est guère question d'immobiliser en attelle d'élévation, et la restriction de la rotation externe reste la meilleure protection de la réparation pendant quelque six semaines. La mobilisation active supervisée peut néanmoins être initiée au cours du deuxième mois.
Ainsi, quelle que soit la panoplie chirurgicale utilisée, la rééducation ne peut être expéditive.
Les leçons de l'expérience
Les techniques de réparation des ruptures de la coiffe se sont perfectionnées ces vingt-cinq dernières années. Le bilan de cette expérience est périodiquement évalué.
Les résultats d'une technique réparatrice doivent s'apprécier d'un double point de vue : fonctionnel et anatomique.
L'étanchéité de la coiffe réparée définit de façon un peu simpliste l'objectif anatomique ; l'objectif fonctionnel se juge sur l'appréciation du patient et les performances dont il est capable, le tout, étant évalué par des scores fonctionnels standardisés. En cas de réinsertions sur tendons rompus, à leur place anatomique, la conservation à long terme de l'étanchéité réparée procure en général un résultat fonctionnel satisfaisant ; en revanche, la survenue d'une rupture itérative (phénomène non exceptionnel) détériore les scores fonctionnels.
Avec les techniques utilisant des lambeaux régionaux, la corrélation entre la qualité anatomique obtenue (étanchéité, trophicité du lambeau) et les résultats fonctionnels est moins patente. La satisfaction de l'opéré dépasse parfois la mauvaise impression laissée par l'étude anatomique. L'analyse permanente des résultats obtenus reste le meilleur moyen de valider la pertinence des indications posées et des techniques sélectionnées.
Des indications de mieux en mieux définies
Petit à petit, les indications de réparation des coiffes rompues évoluent vers une base décisionnelle consensuelle. Il est tout d'abord contre-indiqué de proposer la chirurgie au patient atteint d'une affection neurologique ou porteur d'une dysfonction définitive des muscles mobilisateurs de l'épaule (deltoïde) ; il est également contre-indiqué d'opérer un sujet soumettant son épaule à un surmenage chronique (canne permanente d'une arthrose des membres inférieurs, transfert constant par les membres supérieurs d'utilisation d'un fauteuil roulant...).
Quant à l'indication proprement dite, elle dépend du patient, des caractéristiques anatomopathologiques de sa lésion et de la capacité résiduelle de sa coiffe à pouvoir bénéficier des avantages de la technique de réparation correspondant à la détérioration qu'elle a subie. Le patient doit pouvoir tolérer une rééducation prolongée et ne pas être trop âgé.
Les caractéristiques lésionnelles qui conduisent à la chirurgie sont celles entachées du profil évolutif le plus défavorable ; enfin, l'état de la coiffe candidate à réparation est une coiffe non porteuse de phénomènes dégénératifs graisseux excessifs et susceptible de réagir favorablement à la technique de réparation nécessitée, ou avoir recours à un lambeau de voisinage.
Une solution logique
L'expérience du traitement chirurgical des lésions de la coiffe des rotateurs démontre qu'il s'agit de la solution thérapeutique la plus logique pour ce type de lésion de l'épaule, volontiers invalidante. Cependant, l'état physique et psychologique des patients en fait ou non des candidats à cette chirurgie. Enfin, l'important est de réaliser que l'indication formelle résultera d'une analyse stricte de tous les paramètres impliqués dans l'obtention d'un résultat satisfaisant et que cette démarche analytique ne peut s'autoriser la moindre subjectivité.
D'après la conférence d'enseignement du Pr Daniel Goutallier (Créteil).
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