DE NOTRE ENVOYE SPECIAL A LILLE
JACQUES S., 50 ans, est resté sept semaines dans le coma après un accident de deux-roues en juin dernier. «J'ai fait un vol plané de 4m avant de retomber sur une voiture, raconte-t-il. Je suis resté hospitalisé au Chru de Lille du 22juin au 10août. J'ai ensuite été admis au centre de rééducation de l'Espoir, à Hellemmes. J'étais complètement passif, il fallait que je sonne pour me gratter le nez ou me retourner dans mon lit. Et puis, peu à peu, j'ai réappris les gestes les plus élémentaires de la vie, comme un bébé. Il a fallu que je réinvente tout. Par exemple, pour enlever mes chaussettes, je dois poser le genou sur le lit et procéder en plusieurs étapes. Peu à peu, stimulé par les rééducateurs, j'ai repris confiance. Aujourd'hui, je fais seul ma toilette, mais il me faut 45min quand 5 me suffisaient avant mon accident. Depuis le 6décembre, j'ai regagné mon domicile et je poursuis ma rééducation ici en hôpital de jour.»
A l'entendre évoquer avec précision son parcours, Jacques S. a effectué une spectaculaire récupération, recouvrant l'essentiel de ses facultés physiques et motrices. «J'ai sans doute une belle apparence, observe-t-il, et pour les gens qui me croisent, je ne souffre de rien. Sauf que j'ai de sérieux problèmes de concentration. Quand j'essaye d'ouvrir la main, ça me fait mal à la tête. J'ai oublié la plupart de mes souvenirs et je me fais l'effet d'être un appareil photo dont on aurait retiré la pellicule. Aujourd'hui, je suis complètement incapable de reprendre mon travail.»
Prendre conscience que l'on n'est plus le même.
«C'est le drame propre à ce handicap, commente le Dr Hervé Delahaye (MPR, médecine physique et rééducation, à l'Espoir), qu'il est le plus souvent invisible: pour l'entourage, et souvent pour l'intéressé lui-même. M. S., à le croiser, se porte bien en effet, mais il n'est plus le même, ses activités cognitives sont réduites, il est fatigable, peut devenir agressif sans raison apparente. Il a pour sa part commencé à comprendre qu'il avait changé, mais, chez nombre de patients, cette prise de conscience demande des mois et des années. Des années durant lesquelles vont se relayer de nombreux intervenants, au fil de l'évolution: phase de coma, phase d'éveil, phase de rééducation physique, puis motrice, puis neuropsychologique, phase de réinsertion, de formation professionnelle, sociale. Si un handicap nécessite une manoeuvre d'ensemble, un réseau, c'est bien le trauma crânien.»
Cette mise en réseau semble d'autant plus indispensable qu'isolés, patients, familles, soignants et médico-sociaux expriment un fort sentiment d'abandon et d'impuissance. A commencer par le patient face à lui-même. Le rééducateur cite le cas de ce confrère algérien qui a mis dix ans après son TC avant d'intégrer le fait qu'il ne pourrait jamais plus exercer la médecine et que son horizon professionnel se bornerait à faire des pliages dans une chaîne de fabrication de valises. L'anosognosie, entre syndrome physiologique et déni psychologique, demeure mal élucidée, qui tout à la fois « sauve » la personne et ruine son insertion.
Psychiatre à l'Espoir, le Dr Gérard O'Miel explique que «le traumatisme crânien vient tout bouleverser dans la vie de la personne. Elle se trouve amputée de ses fonctions sociales antérieures, tant familiales que professionnelles, ses comportements sont désinhibés, majorés, rendus incompréhensibles et insupportables, avec une irritabilité et une agressivité imprévisibles. Dans sa nouvelle vie, il lui faut faire le deuil de son existence ancienne et métaboliser cette perte d'elle-même. Pour l'entourage, c'est le même chamboulement, avec, à la clé, des phénomènes de rupture et de divorce. Tout le monde trinque. Souvent dans l'ignorance et l'indifférence du milieu».
Même parmi les médecins, les problématiques des TC restent méconnues. «J'ai dû changer de généraliste, confie M. S., car le mien ne comprenait pas mes difficultés, il croyait que je n'y mettais pas assez de bonne volonté.»
Incompréhension générale.
C'est parce qu'elle-même a été confrontée de plein fouet à cette incompréhension générale que Myriam Cattoire, après l'accident dont fut victime son mari en 1992, s'est lancée dans la bataille, créant R'éveil, association familles traumatisés crâniens du Nord - Pas-de-Calais, R'éveil qui, dans la foulée, a été à l'origine de la création de RTC 59-62. «Il faut mettre ça au V360», avait lâché un spécialiste en parlant de son mari, qui sortait de trois mois de coma et parvenait tout juste à ouvrir les doigts de la main droite et à clignoter d'un oeil, alimenté par une sonde gastrique. «Le V360, explique Mme Cattoire, tremblante d'indignation, c'est un mouroir installé dans une grande usine désaffectée, 25personnes dans la même pièce, quasiment sans visites. Pour certaines, le dossier mentionne qu'il est inutile de prévenir la famille en cas de décès. J'étais folle!» L'association est née de ce coup de folie. Les quelques « ratés » du système que Mme Cattoire comptait rallier à ses débuts se sont vite révélés légion : pères, mères, épouses et époux de patients qu'on laissait pourrir dans leur lit, ou de patients valides mais égarés dans les méandres du système médico-social, personnes dépossédées d'elles-mêmes, «plus handicapées que des locked-in syndrome qui, eux, restent en pleine possession de leur personnalité», estime le Dr Delahaye.
Par centaines, ils ont rejoint R'éveil. A l'époque, se souvient Mme Cattoire, «toutes les familles se plaignaient d'avoir à répéter vingt fois par an la même histoire de l'accident et de ses suites, à chaque rendez-vous avec un nouveau médecin, paramédical ou conseiller». De là est née l'idée qu'il fallait mettre tous les intervenants en réseau.
Une centaine de professionnels.
C'est un neuropsychiatre, chef de service au Chru de Lille, le Dr Marc Rousseaux, qui, pionnier en France, s'est lancé dans l'aventure en 2000 : «Face à tant de gens désemparés, nous avons décidé de structurer et de mettre en harmonie la prise en charge médicale, neuropsychologique et sociale des patients TC, enfants et adultes, et de leur entourage, cela à travers toute la région. Aujourd'hui, nous regroupons 40structures (des établissements hospitaliers aux structures d'ac- compagnement à domicile) et plus d'une centaine de professionnels: neurochirurgiens, anesthésistes-réanimateurs, MPR, neurologues, pédiatres, kinésithérapeutes, neuropsycho- logues,psychologues, assistants sociaux, orthophonistes, éducateurs, animateurs et responsables administratifs. Des groupes de travail ont été créés pour élaborer des protocoles communs à tous les niveaux de prestation, faisant se rencontrer des spécialistes de l'évaluation et de la prise en charge qui jusqu'alors travaillaient sans se connaître.»
Ainsi est née une filière harmonieuse, dotée d'une équipe de coordination, dirigée par Marie-Christine Liné, avec des assistantes sociales et des neuropsychologues répartis par secteurs géographiques. Surtout, les équipes au sein des établissements se sont mises à communiquer entre elles et à s'échanger les données, les uns et les autres complétant le carnet de suivi qui récapitule toute l'histoire du patient. Un dossier médical adhoc, où tout est collationné : données relatives au traumatisme (lésions encéphaliques et extracrâniennes), hospitalisations, consultations médicales et chirurgicales, imagerie, rééducations non hospitalières, suivi psychologique et psychiatrique, séances d'adaptation, démarches administratives, séjours médico-sociaux, stages de rééducation professionnelle, travail en milieu protégé ou ordinaire...
«Dès la naissance du projet, nous nous sommes tous fortement impliqués, témoigne le Dr Laurence Bailleul, chef du service de neurochirurgie de l'hôpital de Roubaix, qui comporte un centre d'éveil d'une douzaine de lits. Les Samu nous amènent ces patients qui, autrefois, ne survivaient pas à leur accident et au sujet desquels nous sommes donc restés très longtemps sans littérature médicale. Tous, chacun à travers sa propre histoire, selon des tableaux qui lui sont propres, présentent dans leur comportement, leur mode d'expression, leur musique du langage, une spécificité qui fait que le clinicien reconnaît sans hésiter le traumatisé crânien. Une spécificité pour laquelle il fallait absolument que l'on ouvre des voies de passages.»
Gagner l'adhésion au processus de rééducation.
Après le Samu et le service de réanimation neurologique, c'est le tour des neuropsychologues. «Les patients nous arrivent éveillés, nous devons les évaluer, dire s'ils sont prêts à supporter une première phase de rééducation», explique Yves Martin, qui, lui aussi, souligne la spécificité des tableaux de TC, avec des troubles complexes et intriqués, très différents de ceux que l'on observe avec les lésions focales des AVC. «Chacun avec sa personnalité propre, ses lésions particulières, son mode de réaction au traumatisme, va exprimer son adhésion au processus de rééducation qui lui est proposé. Une adhésion recueillie patiemment, souvent en guettant les fenêtres d'attention qui s'ouvrent aussi vite qu'elles se referment.»
Les services de rééducation et de réadaptation fonctionnelles accueillent les TC pour des durées qui varient de quelques semaines à plusieurs mois, sans excéder l'année. «Le programme est intensif», raconte Aimeline G., 26 ans, 4 jours de coma après un accident de voiture en février 2006. Elle a, semble-t-il, bien récupéré ses fonctions supérieures et multiplie les séances de kiné, d'ergothérapie, d'éducation physique et de balnéothérapie pour réduire dysarthrie et paralysie du releveur du pied gauche. Au final, elle a bon espoir de reprendre son activité de manipulatrice radio.
Arnaud L., 36 ans, un mois de coma après être tombé dans l'escalier l'été dernier, a, quant à lui, bien récupéré sur le plan moteur. Mais, dit-il, «je ne suis plus le même, ma personnalité s'est transformée. J'étais infographiste, mais je crois que je vais devoir passer à autre chose. Je n'ai pas le choix». Il voudrait, euphorique comme souvent les TC, que «cet accident soit une chance», «en profiter pour (s') améliorer» et murmure : «Tout ça, c'est mystérieux, heureusement que je suis pris en main. Mais mes relations sont dans les sables…»
Pour certains, la prise en charge est délicate. «Les syndromes frontaux demandent une tolérance extrême, témoigne Monique Avenel, infirmière à l'Espoir. Certains présentent des amnésies totales et peuvent exprimer beaucoup d'agressivité. Nous répondons par la manière douce, mais les familles peinent à comprendre la situation.»
Les équipes aussi éprouvent des difficultés sérieuses. Anne Ryckelynck, kinésithérapeute à l'Espoir, a suivi une formation spécialisée dans l'approche relationnelle des patients cérébrolésés. «J'étais désarmée quand je me trouvais en présence de patients qui hurlaient et mordaient dès qu'on les touchait. J'ai appris à les regarder dans les yeux, à ne rien leur imposer, à leur expliquer chacun de mes gestes avant de les poser, à attendre patiemment le bon moment pour intervenir à bon escient.»
Comme dit Patrick Struk, ergothérapeute, «quand le patient ne présente aucune expression mimique, il semble dormir, nous sommes à l'affût d'une lueur dans le regard, un signal pour pouvoir intervenir».
Le long chemin vers la réinsertion.
Lorsque la phase de rééducation médicale est stabilisée, deux ou trois ans en général après le traumatisme, commence une ultime séquence qui pourra être plus longue encore, qui mène à la réinsertion. Neuropsychologue chef de service à l'Ueros (unité d'évaluation de réentraînement social et/ou professionnel à Lille), Hélène Delecroix anime une équipe de cinq personnes qui, soit en accueil de jour, soit en internat, vont tester le projet professionnel des patients. Après l'évaluation commence une formation pour tester en réel la fatigabilité et l'adaptabilité du stagiaire. Après douze semaines, une décision d'orientation sera arrêtée par la Cotorep (commission technique d'orientation et de reclassement professionnel), qui signifiera soit le retour à l'emploi, ordinaire ou protégé (centre d'aide par le travail, atelier protégé), soit l'intégration dans une structure sociale ou associative (accompagnement dit occupationnel, centre d'accueil de jour). «A la sortie, explique Hélène Delecroix, la plupart de nos stagiaires auront une activité adaptée à leur handicap, la manière appropriée à chacun de se sentir utile.»
Mais le RTC 59-62 ne relâche pas pour autant son suivi. L'Ueros met en place des relais, avec un référent qui reste disponible. Auprès des TC, une équipe pluridisciplinaire médico-psychosociale animée par le Dr Odile Kozlowski (MPR au CH La Bassée à Wavrin et à l'hôpital Swynghedauw, Chru de Lille) réalise dans la foulée pendant deux ans un accompagnement tout à la fois au domicile et au sein des ateliers socio-éducatifs, ou des associations caritatives, là où les patients peuvent se sentir utiles et valorisés.
Le parcours de la personne traumatisée crânienne peut nécessiter par la suite encore d'autres formes de prise en charge. Ce sont les consultations avec, au sein des services de rééducation, le MPR, une assistante sociale, un orthophoniste qui vont étudier l'évolution d'un patient réinséré. Aujourd'hui, à l'Espoir, c'est Sébastien T., trois semaines de coma en mai, qui est reçu longuement. Il a repris ses activités d'électro- mécanicien mais ses collègues signalent sa lenteur, un déficit de mémoire immédiate, des troubles d'attention, en particulier dans l'observation des consignes de sécurité. En revanche, les fonctions de planification et d'organisation semblent bonnes. L'équipe du réseau va lui prodiguer ses conseils.
Pour Sébastien, l'avenir paraît bien engagé. Mais beaucoup de TC n'accèdent pas à l'autonomie. Assistante sociale chef de L'Espoir, Laurence Pistères ne décroche que trois ou quatre admissions par an en centre spécialisé. Le combat de RTC ne fait que commencer. Mme Cattoire continue de brandir l'étendard de la révolte. Le Dr Rousseaux et les diverses équipes poursuivent leur croisade pour « la reconnaissance du handicap de la personne traumatisée crânienne », thème de la journée de formation annuelle organisée par RTC 59-62. Ils y accueilleront, ensemble, patients, familles et spécialistes médicaux et sociaux. Et ils attendent le doublement de leur financement, à hauteur des demandes qui plébiscitent le réseau.
– RTC 59-62, Usnb, 6, rue du Pr-Laguesse, Chru 59037 Lille Cedex, 03.20.44.58.12.
– Association R'éveil Aftc, 6, rue de la Créativité, 59650 Villeneuve-d'Ascq, 03.20.72.82.06.
– Ueros, 5, rue du Dr-Charcot, 59000 Lille, 03.20.17.93.70.
– Centre de rééducation et réadaptation fonctionnelles spécialisées, 25, rue Pavé-du-Moulin, 59260 Lille-Hellemmes, 03.20.05.85.00.
– Journée de formation annuelle de RTC 79-62, le 30 mars à Harnes (près de Lens).
James Bond a mal au crâne
Un coup de feu est tiré. Le héros du film reçoit une balle dans la cuisse. Malgré cela, il continue son action et élimine le méchant. «C'est bien du cinéma», pense le spectateur, incrédule.
Quand le même héros, fut-il James Bond, reçoit un coup sur la tête, est assommé, puis, après quelques minutes, se relève, se secoue et repart vers la suite de ses aventures, moins nombreux sont ceux qui s'exclament : «C'est bien du cinéma.»
Depuis que l'image s'est animée, des milliers et des milliers de personnages ont été assommés. Ils s'en sont le plus souvent relevés indemnes, parfois ensanglantés, ou, si nécessaire, avec une amnésie. Et pourtant, tous ont subi ce que le corps médical nomme sobrement un traumatisme crânien avec perte de connaissance. Ses conséquences font l'objet de notre dossier.
Pour en revenir à notre exemple du début. Tout spectateur se doute qu'une balle dans la cuisse va laisser ses traces, justifier des soins. En revanche, qui soupçonne ce que va endurer James Bond dans les mois à venir ? D'autant plus qu'il sera à nouveau assommé dans les semaines à venir.
On parle de la banalisation de la violence en raison de son expansion sur l'écran. Et pourtant, voilà bien longtemps que le cinéma fait croire qu'un coup sur la tête n'a d'autres conséquences qu'une courte perte de conscience.
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