DEPUIS le 1er janvier, comme tous leurs concitoyens, les quelque 28 000 médecins bulgares et 42 500 médecins roumains (1) font partie de l’Europe. A l’instar de leurs confrères espagnols, britanniques, néerlandais..., ils sont en théorie libres de s’installer où bon leur semble dans les – désormais – 27 pays de l’Union.
Sauf que le concept de « libre installation » a un intitulé trompeur : même s’il simplifie grandement les choses par rapport aux conditions d’intégration faites aux praticiens diplômés hors de l’Union (aujourd’hui communément appelés « Padhue »), il ne signifie pas qu’il suffit à un médecin allemand ou hongrois de louer un local et de visser une plaque n’importe où dans l’Hexagone pour que le tour soit joué.
S’il veut s’installer en France et disposer de la plénitude d’exercice, le candidat européen doit se présenter au conseil départemental de l’Ordre et fournir son diplôme de docteur en médecine assorti d’une attestation, délivrée dans son pays d’origine, dite « de conformité » avec la directive européenne 2005-36-CE. Un texte qui unifie les études médicales en partant d’un tronc de formation de six ans et que les Etats membres ont jusqu’au mois d’octobre 2007 pour transposer dans leur droit national. C’est seulement nanti de l’imprimatur de l’Ordre, donné sur la base de ces documents, que le candidat européen à l’installation pourra exercer en ville et à l’hôpital exactement dans les mêmes conditions que ses confrères français. L’opération peut, dans certains cas, aller très vite. Les textes prévoient d’ailleurs qu’elle ne dépasse pas trois mois – un délai jugé beaucoup trop court par l’Ordre. Mais dans d’autres cas, elle est laborieuse. Plus que tout autre pays de l’Union – sauf peut-être la Pologne –, la Roumanie et la Bulgarie sont dans ce second cas de figure.
Un texte hermétique.
Car, pour eux, dont les formations médicales ne sont pas toujours facilement comparables à celles ayant cours en Europe de l’Ouest, le Conseil de l’Europe s’est fendu le 20 novembre 2006 d’une directive spécifique. Un texte auquel, problème, nul ne comprend goutte. Un médecin roumain commente : «La procédure y est expliquée avec des mots invraisemblables, des “ceci” et des “cela” renvoyant à des éléments de phrase qu’on n’identifie pas.»«C’est une directive excessivement complexe, rédigée dans un langage illisible. La déchiffrer nécessiterait dix jours de travail ininterrompu», confirme le Dr Xavier Deau, qui préside la section formation et compétences médicales du Conseil national de l’Ordre. Pas plus que l’institution ordinale, les ministères de la Santé français, roumain et bulgare n’ont réussi à décrypter ce document. Résultat : une circulaire d’information est en préparation. En attendant qu’elle éclaircisse les choses, le pragmatisme prévaut pour l’accueil des candidats à l’installation roumains ou bulgares. «Nous raisonnons actuellement au cas par cas, explique le Dr Deau. Nous étudions chaque diplôme en fonction des maquettes... et nous renvoyons les médecins dans leur pays d’origine demander leur certificat de conformité.»
L’Ordre commence à être rompu à ce genre de gymnastique. Il a déjà dû s’y soumettre en 2004, lors de l’élargissement de l’Union à 25. La reconnaissance des diplômes polonais s’est révélée ardue – «On commence à y voir clair», rassure l’Ordre. Le cas lituanien a également été problématique. «Là-bas, se souvient le Dr Deau, on met par exemple sept ans à former un anesthésiste-réanimateur contre douze en France. Au départ, pour autoriser un Lituanien à s’installer en France, il fallait qu’il ait exercé dans son pays d’origine un nombre d’années représentant plus du double de la différence de temps de formation requis pour sa spécialité en France et en Lituanie.»
Régularisation.
C’est sans doute à ce genre de règles que doivent s’attendre des candidats bulgares ou roumains qui, parfois, ne viennent pas de bien loin. Emargeant au maximum à 400 euros par mois, les médecins roumains, en particulier, n’ont pas attendu d’être européens pour venir travailler en France. Depuis plusieurs années, même l’étiquette de Padhue – et les statuts hospitaliers précaires qu’elle suppose – a paru séduisante à nombre d’entre eux. La FPS (Fédération des praticiens de santé) estime que, environ 1 500 médecins ressortissants des nouveaux pays européens de l’Est, parmi lesquels Polonais et Roumains, francophiles, forment le gros des troupes, exercent aujourd’hui dans les hôpitaux français sans qualification. S’y ajoutent les praticiens déjà nantis d’une autorisation d’exercice en bonne et due forme, obtenue après avoir passé le concours de PAC (praticien adjoint contractuel), puis parfois de PH, ou après s’être soumis à la nouvelle procédure d’autorisation (NPA, devenue PAE) des Padhue. Ce sont ceux-ci que répertorient les statistiques de l’Ordre (voir tableau) qui comptabilisaient 95 Polonais, 158 Roumains et seulement 12 Bulgares en exercice en France à la fin de 2005.
En dehors des médecins qui exerçaient en France avant le 1er janvier, faut-il s’attendre à un rush des praticiens roumains et bulgares ? Personne ne le pense. Ni parmi les experts ni parmi les intéressés eux-mêmes. Le Dr Serdar Dalkilic, spécialiste au sein de la Fédération européenne des médecins salariés de la question de l’immigration des médecins dans l’Union, est très mesuré : «Actuellement, l’émigration des médecins des pays de l’Est se fait vers l’Angleterre et l’Allemagne, pas tellement vers la France où les vides démographiques sont davantage comblés par les médecins venus du Maghreb ou du Moyen-Orient.»
La France, eldorado pour les médecins de son pays ? Ce médecin roumain exerçant de longue date dans un hôpital de province ne le pense pas : «Personne ne m’a contacté pour savoir, par exemple, s’il y avait des postes libres», témoigne-t-il. Cet autre praticien roumain, en poste en France depuis plus de dix ans et récemment régularisé par la voie de la NPE, se «pose toujours la question» de savoir s’il vaut mieux être médecin en France ou en Roumanie. «Au départ, explique-t-il, on vient en France et l’on est séduit par la grande différence de salaire, d’accès à la recherche, de moyens donnés aux hôpitaux, de niveau de la médecine... Tout cela est incomparable. Mais après, on voit aussi le coût de la vie, on voit tout ce que l’on gagne et qui part aux impôts... toutes ces choses qu’on ne s’imagine pas en Roumanie. Et puis on a toujours cette étiquette de “médecin étranger” . Quand ils me voient travailler, beaucoup et avec une forte pression, les médecins que je connais en Roumanie n’ont pas envie d’être à ma place.»
(1) Chiffres de l’OMS pour l’année 2003.
Deux systèmes de soins vus par des sénateurs
Dans l’optique de l’élargissement, une mission sénatoriale française s’était rendue il y a trois ans en Roumanie et en Bulgarie. Voici un extrait de ses conclusions en matière sanitaire, publiées au printemps 2004 dans un rapport d’information :
«Les systèmes sociaux roumain et bulgare présentent une offre de soins largement insuffisante par rapport aux besoins de la population: faible nombre de médecins, dont les tarifs sont élevés par rapport au pouvoir d’achat moyen, hôpitaux peu nombreux et sous-équipés, système de Sécurité sociale très peu développé... Les derniers rapports d’étape de la Commission sur la Roumanie indiquent ainsi que l’état de santé général de la population y reste nettement inférieur au niveau moyen de l’Union européenne et que les soins de santé primaires y sont encore négligés. En Roumanie, par exemple, l’espérance de vie moyenne est inférieure de dix ans à l’espérance de vie moyenne dans l’Union européenne et les dépenses de santé inférieures à 40
euros par personne et par an (contre plus de 500 euros en Slovénie) .»
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