Evaluation des politiques ministérielles

Roselyne Bachelot et les critères mystères

Publié le 10/01/2008
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EN ANNONÇANT la semaine dernière que les ministres, et surtout les politiques ministérielles, seraient évalués et notés à l'aune de leurs résultats sur les six derniers mois, le président de la République a jeté un beau pavé dans la mare, et l'opposition n'a pas eu de mots assez durs (initiative grotesque, pitoyable…) pour qualifier l'initiative. Car, au-delà même du principe, que le PS juge critiquable en ce qu'il «porte atteinte à la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, qui doit être le seul à même de le contrôler», l'opposition rejette l'idée, confirmée cependant par l'Hôtel Matignon, de confier à un cabinet privé de stratégie le soin d'établir une grille de critères pour chaque ministère. De son côté, Nicolas Sarkozy, lors de sa conférence de presse de mardi dernier, a assuré que l'évaluation concernerait plus les politiques publiques menées par les ministères que les ministres eux-mêmes, et s'est étonné de la polémique née du choix d'un cabinet privé pour mettre en place les critères d'évaluation. Le cabinet en question, Mars & Co, a confirmé avoir achevé la rédaction de ces fameuses grilles qui devront comprendre 30 critères d'évaluation par ministère, et François Fillon a assuré de son côté que cette société privée ne participerait pas au travail d'évaluation, sa mission n'ayant consisté qu'à mettre en place les outils nécessaires à sa réalisation.

Contacté par « le Quotidien », Mars & Co se refuse à tout commentaire sur les critères d'évaluation retenus et se contente de répondre que «notre politique consiste à ne parler en aucune manière de nos clients». De leur côté, les élèves-ministres, bien qu'ils s'en défendent, ne semblent guère goûter cet exercice de notation d'un genre nouveau qui leur rappelle l'époque où ils usaient leurs fonds de culotte sur les bancs de l'école, d'autant qu'un remaniement ministériel devrait avoir lieu après les municipales : les plus mal notés ne seront-ils pas les premiers à quitter leur poste ?

Spéculations.

La question centrale reste la suivante : quels critères vont s'appliquer aux différents ministères ? On sait, par quelques fuites, que le ministère de l'Immigration pourrait être jugé à l'aune des reconduites de clandestins aux frontières ; que le ministère de la Culture pourrait être noté à celui de l'évolution des chiffres du piratage des fichiers audio et vidéo, ou encore sur ceux de la fréquentation des musées nationaux. Mais, pour le ministère de la Santé, rien n'a transpiré, et les spécialistes de la question (voir ci-dessous) en sont réduits aux spéculations et suggestions. Dans un cabinet concurrent de Mars & Co, un responsable qui a requis l'anonymat, se risque à ce petit jeu. Selon lui, l'action menée au ministère de la Santé depuis six mois pourrait être en partie mesurée sur la base des taux d'équipements hospitaliers, de la qualité générale de l'accès aux soins, de la qualité de la gestion des crises sanitaires ou sociales, sans oublier quelques critères de santé publique comme le tabagisme ou l'alcoolisme. Sur le fond, ce responsable semble cependant un peu surpris par cette démarche d'évaluation : «Si j'étais Roselyne Bachelot, confie-t-il, tout ça me donnerait envie d'évaluer à mon tour le président Sarkozy.»

Certes, certains critères d'évaluation objectifs auraient pu ressortir de la lettre de mission qu'un président de la République adresse généralement aux nouveaux ministres, mais Roselyne Bachelot n'a jamais reçu la sienne ! Une bizarrerie qu'un homme du sérail juge due au fait que «le président n'a adressé de lettres de mission qu'aux ministres dont il attendait des résultats immédiats». Dont acte. On se rabattra donc avec intérêt sur le site Internet de Matignon qui liste les priorités de chaque ministère. A la rubrique Santé, on peut lire que les grands enjeux du ministère sont la lutte contre le cancer et le sida ; la poursuite du plan national Santé-Environnement et du programme national Nutrition-Santé ; le développement des soins palliatifs ; le plan Alzheimer ; l'assurance complémentaire santé pour tous ; et, enfin, l'ouverture des négociations sur les heures supplémentaires à l'hôpital. Comme le rappelle un proche de Roselyne Bachelot, «il sera difficile de juger des programmes et des plans appelés à s'étaler sur plusieurs années. Mais François Fillon, à défaut de noter des résultats, pourra au moins noter la méthodologie utilisée pour cibler ces objectifs futurs, ainsi que le dialogue et la concertation que la ministre a su instaurer, et sa capacité à gérer les conflits comme celui des internes, ou les crises comme celle d'Epinal, tant sur la forme que sur le fond».

Ce proche de la ministre ajoute plus perfidement que «si la ministre est jugée sur sa capacité à gérer son portefeuille de ministre de la Jeunesse et des Sports, sa note risque de dégringoler, car elle n'a pas fait grand-chose dans ce domaine».

Selon Matignon, François Fillon commencera à recevoir les ministres les uns après les autres à partir de la mi-janvier. Les évaluations seront éventuellement rendues publiques une fois reçus tous les ministres.

De 10/20 à 18/20

Quand ils se prêtent à ce difficile exercice, les responsables du monde de la santé s'accordent souvent sur un «14/20» pour noter leur ministre. Plusieurs leaders de syndicats médicaux se gardent toutefois de brandir un score chiffré. A l'INPH, le Dr Bocher précise simplement que Roselyne Bachelot ne décroche «pas la moyenne» en assiduité auprès de l'hôpital, du fait de «ses absences répétées et non excusées». La crise des comptes épargne-temps à l'hôpital est «une épreuve en cours de rédaction», si bien que l'INPH ne la notera que «le 15janvier au soir». La prudence et l'expectative sont de mise aussi chez les syndicats de médecins libéraux, avant les conclusions des états généraux de l'offre de soins (EGOS), la négociation conventionnelle et le projet de loi annoncé pour l'été.

Côté médecins de terrain, on ne s'embarrasse pas d'autant de précautions, et on note franchement la ministre, même si cette notation s'apparente plus à un ressenti qu'à une analyse approfondie. C'est ainsi que le Dr Monrosier, de Grenoble, manifestement fan de Roselyne Bachelot, lui met sans hésitation un 18/20. Pour les autres, c'est plus mesuré : le Dr Claude Landos «hésite entre 10 et 12/20», et le Dr Geneviève Royannez, sans chiffrer précisément la performance ministérielle, la situe «dans une petite moyenne». Enfin, notre médecin anonyme du Calvados, qui dit lui-même «je l'aime bien, Roselyne», lui attribue pour sa part un bon 14/20. Faut-il préciser que l'évaluation n'est pas une science exacte ?

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> HENRI DE SAINT ROMAN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8287