ROSELYNE BACHELOT-NARQUIN avait prévenu dès sa nomination qu'elle rangerait au placard ses tailleurs voyants rose fuchsia afin de revêtir des tenues aussi sombres que sobres. Aujourd'hui, beaucoup regrettent dans le monde de la santé que l'effacement relatif de la ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports dépasse de loin ce simple choix vestimentaire.
Roselyne Bachelot a ainsi brillé par son absence à la Wonca (1) Europe 2007, qui vient de rassembler à Paris 4 300 médecins généralistes de 61 pays. Au grand dam des députés socialistes, la ministre a de même « séché » une bonne partie du débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2008, que l'Assemblée nationale doit voter aujourd'hui en première lecture.
Au Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), Fabien Quedeville note cependant que «la ministre a joué son rôle, avec son équipe, dans la gestion de la crise des internes», qui vient de se dénouer. Mais si la fièvre des jeunes médecins est retombée, la thérapeutique utilisée est diversement appréciée. Selon les uns, leur liberté d'installation a été préservée par une astuce sémantique pour gagner du temps, tandis que, selon les autres, la crise s'est surtout soldée par un net recul du gouvernement.
Enfin, la ministre ne pourrait faire valoir que de maigres droits d'auteur sur le PLFSS, puisque les principales mesures relatives à l'assurance-maladie y ont été inscrites sous la dictée du président de la République. Ce dernier a pris l'initiative, au milieu de l'été, de réviser de fond en comble la finalité et les modalités des franchises prévues dans son programme présidentiel. Seul avantage pour Roselyne Bachelot : l'opinion n'a aucune raison de lui imputer cette mesure impopulaire.
La ministre ne peut pas non plus être tenue responsable des articles 32 et 33 du PLFSS qui ont mis dans la rue à deux reprises plus de 10 000 internes et étudiants en médecine. Là encore, c'est bel et bien Nicolas Sarkozy qui a mis le feu aux poudres en s'attaquant au sujet tabou de la liberté d'installation. Tout comme il a aussi annoncé, pêle-mêle, le passage à la tarification à l'activité à 100 % dans les hôpitaux publics, une révision du périmètre de prise en charge des affections de longue durée (ALD), ainsi que «l'ouverture d'un grand débat sur le financement» au premier semestre 2008.
Muette figurante.
De même, Roselyne Bachelot a dû se contenter d'un rôle de figurante muette au côté de Nicolas Sarkozy, lorsqu'il a fixé sa feuille de route pour l'hôpital lors d'un déplacement à Bordeaux (« le Quotidien » du 18 octobre). Dans le secteur de la santé comme ailleurs, le président impulse la politique du gouvernement et met son nez partout, au point d'arbitrer en personne les bisbilles entre pompiers et SAMU dans l'organisation des secours. «Incontestablement, on assiste à une reprise en main élyséenne et il y a une perte de pouvoir d'influence de Ségur, constate le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Ce n'est pas sans danger car cela le met en première ligne parfois pour des sujets mineurs.» Le Dr Dinorino Cabrera, leader du Syndicat des médecins libéraux (SML), «n'a jamais vu autant de centres de décisions» de sa vie de «vieux routard du syndicalisme». «Le palais de l'Elysée n'est pas fait pour gérer des plans comme le plan Alzheimer!», proteste Christian Saout, à la tête du Collectif interasssociatif sur la santé (CISS, qui représente 25 associations de patients et d'usagers). Il déplore que les interventions présidentielles tendent à injecter de la «passion» dans des sujets de santé déjà «inflammatoires» par essence, puisqu'ils «touchent à la vie». «Moi, je trouve ça sain: c'est au président élu de donner le la», rétorque, pour sa part, le Pr Guy Vallancien, secrétaire général du Conseil national de la chirurgie. D'autres représentants du monde de la santé se souviennent aussi que le « château » tirait déjà les ficelles sous Jacques Chirac (au moment de la réforme de 2004, notamment), même si c'était plus discret. Le délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), Gérard Vincent, «a toujours connu ça: le dernier mot appartient à Matignon et à l'Elysée».
Au fond, si rupture il y a dans le secteur sanitaire, elle est sans doute moins présidentielle que financière. Les manettes du financement de la Santé ( via l'assurance-maladie) sont désormais aux mains d'Eric Woerth, ministre du Budget et des Comptes publics. De fait, le PLFSS 2008 a été présenté non pas avenue de Ségur, mais à Bercy... Tout un symbole. «Le bon périmètre ministériel est celui qu'avait Xavier Bertrand», souligne le président du CISS. Les syndicats médicaux pleurent aussi bien sûr la perte de l'ancien «grand pôle de Sécurité sociale» et rêvent d'un «ministère de la Santé à part entière». L'arrivée de Bernard Laporte au secrétariat d'Etat aux Sports devrait alléger l'agenda de la ministre, passablement embolisé pendant la coupe du monde de rugby. Reste qu'elle entend rester maître de la lutte contre le dopage et des dossiers internationaux et qu'elle «devra contrôler en permanence» Bernard Laporte, chuchotent certains.
Dans une telle configuration, Christian Saout invite Roselyne Bachelot à «trouver sa véritable ampleur et sa pleine reconnaissance.sinon le prochain scandale sera celui de l'inorganisation des soins». «Qu'elle fende l'armure, poursuit le président du CISS, et devienne un ministre de plein exercice qui ne se demande pas tous les matins si elle est allée trop loin.» Fin septembre, un sondage « le Quotidien »-IFOP a montré en tout cas que 53 % des médecins libéraux lui font toujours confiance...
(1) « World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians ».
SES ATOUTS
Son appartenance au sérail
Autrefois pharmacienne et experte des questions de santé dans son parti, on lui reconnaît volontiers une bonne connaissance des dossiers.
Ce n'est pas une novice en politique
Nombre de ses interlocuteurs la trouvent «fine politique» et «pas dogmatique».
Sa forte personnalité
Au-delà de sa réputation de gaffeuse, la ministre est souvent saluée pour sa «forte personnalité» ( «attachante», ajoutent certains), «son peps», «son doigté», son audace (au moment du vote du PACS en 1999), son franc-parler et son sens de la répartie.
SES HANDICAPS
Un chef de l'Etat omniprésent
Comme tous les ministres, elle a un rôle d'exécutante face à un président dirigiste qui se veut aussi « chef de gouvernement ».
Le nerf de la guerre lui échappe
Roselyne Bachelot dispose du portefeuille de la Santé sans le financement de l'assurance-maladie qui incombe au ministre Eric Woerth.
Le déficit de la Sécu
Elle est arrivée à la Santé dans un contexte financier très tendu nécessitant un plan de redressement de l'assurance-maladie. «Bonjour le bizutage!», avait lâché la ministre à ce sujet face aux cadres du SML à Opio en septembre.
Sa «barque» ministérielle est un peu chargée
Gouvernement resserré oblige, elle cumule de vastes et longs chantiers comme Hôpital 2012, le dossier médical personnel (DMP) et les agences régionales de santé (ARS), et devra gérer d'autres échéances sportives importantes après la Coupe de monde de rugby (JO de Pékin en 2008, puis championnat du monde de ski à Val-d'Isère en 2009).
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