Les situations d'insécurité auxquelles sont confrontées la plupart des praticiens, et les généralistes en particulier, au même titre que leurs patients, font partie de la vie quotidienne en France depuis des années. Au point que de nombreux délits dont sont victimes les soignants ne sont même pas signalés aux forces de l'ordre qui, elles-mêmes, en arrivent à recommander de ne pas porter plainte, car cela ne sert à rien, si ce n'est à entraîner les représailles des agresseurs.
Seules les agressions physiques donnant lieu à un accident du travail sont répertoriés, selon un rapport de l'inspection générale des Affaires sociales sur le sujet (IGAS), remis à la ministre de l'Emploi et de la Solidarité le 6 novembre. En revanche, « les violences verbales », comme l'incivilité, le chantage, les injures ou les menaces, qui constituent l'essentiel des conditions d'insécurité dans lesquelles travaillent les professionnels de santé, échappent à toute comptabilité, « malgré leurs répercussions sur la qualité » de l'activité médicale « et la nature des relations avec les malades ». Les manifestations de ce type, relèvent les enquêteurs, touchent surtout les libéraux exerçant seuls, plutôt pendant les gardes de nuit et les jours fériés. A l'hôpital, ce sont les services d'urgences et de psychiatrie qui sont les plus touchés.
Vers une protection renforcée
Pour enrayer le fléau, l'IGAS propose un certain nombre de moyens à déployer. Quelques-uns de ces moyens, note le ministère d'Elisabeth Guigou, ont déjà été introduits dans la loi de financement pour 2002 de la Sécurité sociale. Il est prévu de financer des « systèmes expérimentaux de gardes libérales et de primes à l'installation dans des zones sensibles » (« le Quotidien » du 3 octobre). Plusieurs autres propositions font l'objet, dès à présent, d'instructions de différentes directions ministérielles. En matière pénale, annonce Elisabeth Guigou, « un travail a commencé avec la Chancellerie sur l'aggravation des peines contre des auteurs d'agression sur des professionnels de santé et sur une meilleure prise en compte par le parquet des plaintes déposées ».
Pour la prise en charge du risque, des modifications des régimes d'assurance-maladie pour les libéraux sont « à l'étude ». « L'accompagnement des victimes par des psychiatres spécialisés et la réparation économique » sont aussi envisagés.
Enfin, le ministère entend agir au niveau de « l'organisation locale de l'offre de soins », en favorisant « l'installation groupée de l'exercice », la création de maisons médicales sécurisées (500 millions de francs de crédits débloqués) et l'établissement de contrats de santé ville-Etat, afin que les praticiens participent « activement à la coordination et à la cohérence des politiques de santé locales ».
Ces dispositions, précise le ministère Guigou, « complètent les actions que le gouvernement a menées depuis quelques années en vue de réduire l'insécurité, comme le protocole du 14 mars 2000 accordant 100 millions de francs à la prévention et à l'accompagnement des situations de violence dans les établissements de santé ».
L'Etat doit jouer son rôle
Qu'en pense l'Ordre national, qui n'a pas été associé directement à la rédaction du rapport de l'IGAS ? « En premier lieu, il convient de rappeler l'article 223-6 du code pénal (et son pendant l'article 9 du code de déontologie), selon lequel quiconque s'abstient de porter secours à autrui, sous réserve qu'il n'encourt pas lui-même de danger dans son acte d'assistance et n'en fait pas courir à autrui, tombe sous le coup de la loi, dit au "Quotidien" le Dr Jacques Lucas, responsable de la section ordinale exercice professionnel. Or, dans sa mission d'intérêt publique, le médecin bénéficie-t-il de l'autorité légale de l'Etat, en ce qui concerne la sécurité ? » Non, laisse entendre le cardiologue nantais, en relevant, par exemple, que neuf voitures ont été incendiées, « dans un quartier pas particulièrement chaud » de sa bonne ville de Nantes dans la nuit de dimanche à lundi.
« Il manque peut-être des moyens, dit le Dr Lucas, mais quelles que soient les solutions apportées, elles ne serviront à rien si la fonction régalienne de l'Etat de maintien de l'ordre n'est pas assurée. Pour l'heure, il faut bien le reconnaître, le déficit à combler est celui de l'autorité de l'Etat. La dérive vers le communautarisme, consistant à confier à des animateurs sociaux des fonctions de sécurité, relevant de l'ordre républicain, en est l'illustration. Il faut restaurer l'autorité républicaine », plaide le praticien.
La revendication, fait remarquer le Dr Lucas, « n'a aucune connotation corporatiste », si ce n'est qu'elle met en avant une dimension de santé publique. En effet, « ce sont des populations entières, qui, prises en otages par des individus se livrant à des trafics en tous genres, et en particulier orientés vers la drogue, pâtissent de l'insécurité. Il en résulte des états psychopathologiques, caractérisés par la panique et dans tous les cas des troubles comportementaux. Vous comprendrez que, dans un tel contexte, l'Ordre - qui s'apprête à constituer, dès le début de l'année prochaine, un observatoire de la sécurité, ou de l'insécurité, en liaison avec les conseils départementaux et éventuellement l'Intérieur, afin de connaître les typologies d'agressions en temps réel - ne saurait passer au second plan le milieu de vie des patients ».
En somme, le préalable est de rétablir la sécurité sur l'ensemble du territoire républicain et tout rentrera dans l'ordre : « Le médecin, évidemment, sera toujours plus exposé que d'autres professionnels à des risques, comme c'est le cas du pompier qui combat les flammes, mais la permanence des soins (art. 77 du code de déontologie) sera assurée en tous lieux et par tous. »
« Aujourd'hui, rapporte le Dr Jacques Lucas, les demandes de dispense pour les gardes, adressées aux conseils départementaux par des consurs, notamment, compte tenu de la féminisation du corps médical, sont de plus en plus nombreuses. D'autres confrères qui, par militantisme social, avaient choisi de s'installer parmi des populations dans le besoin, dévissent leur plaque car ils sont écurés. »
« Cela étant, souligne, en outre, le responsable ordinal, il est une forme d'agressivité, également fort répandue, qui tient à l'exigence de patients. On la retrouve, certes, dans le comportement de très nombreux consommateurs qui veulent tout et tout de suite. Si le "Je veux un certificat de travail" n'est pas suivi d'effet sur le champ, le médecin risque d'avoir chaud, d'être un peu secoué. Il ne serait pas inutile, sans doute, que la CNAMTS, les médias et les associations d'usagers diffusent des messages pédagogiques pour appeler les citoyens à de meilleurs sentiments », suggère, en guise de conclusion, le responsable ordinal.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature