Risques du métier : le ministère de l'Intérieur fait des propositions

Publié le 12/10/2003
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Une demi-douzaine de médecins représentant la CSMF, le SML, Alliance, MG-France et la FMF ont été reçus au ministère de l'Intérieur pour parler de la sécurité dans l'exercice de la médecine libérale. Luc Rudolf, inspecteur général de la police nationale, conseiller de Nicolas Sarkozy, et Jacques Lucbereilh, chargé des professionnels de la santé au cabinet de Jean-François Mattei, avaient pour tâche de les écouter et de leur communiquer de premières pistes.

Les syndicats ont mis l'accent sur la recrudescence des agressions, que ne traduisent pas les chiffres officiels -  « Les praticiens peuvent hésiter à faire des déclarations, car c'est peu glorieux pour eux et ça implique un parcours d'obstacles, voire des représailles », explique au « Quotidien » le Dr Michel Chassang, président de la CSMF. A l'unanimité, ils ont souligné que l'insécurité n'est pas un problème médico-médical. Elle concerne l'ensemble des professionnels de santé. Le Dr Malek Abderrahim, généraliste depuis vingt-six ans dans le quartier du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie, a précisé, au nom de MG-France, qu' « il n'y a pas de sécurité des professionnels de la santé sans sécurité de la population ». Les médecins ont aussi déploré les plaintes classées sans suite et l'impossibilité de saisir les autorités judiciaires de façon anonyme.
A ce contexte s'ajoute la féminisation de la profession qui fragilise le dispositif des visites à domicile. Les intervenants n'ont pas manqué de rappeler que l'exercice de la médecine dans certains quartiers difficile peut « devenir inexistant, si on n'y prend pas garde ».
Cet énième tour d'horizon laisse MG-France pour le moins sceptique. Tout a été dit, depuis bien longtemps, quant à l'état des lieux, estime le syndicat. Les rapports de M. Costargent (novembre 2001), inspecteur général des Affaires sociales, et du Dr Lebas (mars 2002), qui ont souligné respectivement le risque sérieux d'arrêts de travail consécutifs à des violences (2,2 % contre 1,2 % pour les salariés du régime général) et la dégradation des conditions de travail en zones urbaines sensibles, en témoignent. Le temps est venu de passer à l'action. Au Val-Fourré, l'Association des professionnels de santé, animée par une quarantaine de personnes, dont une douzaine de généralistes et une gynécologue, attend des fonds publics et européens afin d'ouvrir une maison médicale dotée d'une permanence des soins, déjà souhaitée par 6 omnipraticiens, 2 chirurgiens-dentistes, 4 infirmières et un laboratoire d'analyses médicales.

La réunion Place Beauvau ne s'est pas achevée sans que les deux conseillers ministériels présentent des propositions. Parmi ces suggestions, le Dr Michel Chassang en a retenu une dizaine :
- Installation de caméras (discrètes) dans les cabinets médicaux, d'un coût unitaire de 457 euros, filmant toute les dix secondes ; et boîtier de télé-alarme à usage individuel. Dans les deux cas, une prise en charge par les pouvoirs publics n'est pas à écarter a priori.
- Fascicule d'informations sur la conduite à tenir lors de visites de nuit ou en zones sensibles, à l'instar de ce qui a été fait dans les Hauts-de-Seine à la fin des années 1990.
- Accompagnement ponctuel des visites par un policier, en cas d'appel suspect ou de patients reconnus « difficiles ».
- Chauffeur de nuit, comme cela existe au Havre, à la charge des collectivités territoriales.
- Amélioration de l'accueil des médecins dans les commissariats, grâce à la présence d'un « interlocuteur unique ».
- Procédure de citation directe, sans passer par le procureur de la République. C'est là un droit réservé à toute personne victime d'agression.
- Possibilité de déposer plainte anonymement, comme le permet la loi dans certaines situations.
- Régulation préalable des appels, dans le cadre de la réforme des gardes et permanence de soins (décrets d'application en cours).
- Modification des conditions de gestion du 17 (Allo Police), étant donné qu'il faut parfois attendre dix minutes avant d'avoir un interlocuteur.
« C'est prometteur, commente le patron de la CSMF. On sait que des gens s'intéressent à la question de l'insécurité. »
Au lendemain de cette rencontre, l'Intérieur a fait savoir qu'il s'agissait de préparer une visite de Nicolas Sarkozy au Val-Fourré, fixée au 17 octobre. Le ministre souhaite rencontrer sur le terrain des médecins qui exercent dans des « situations difficiles ». Ce jour-là, il pourrait annoncer des dispositions mises en avant lors de la réunion du 9 octobre.

L'insécurité à la une

Hormis les violences commises par des déséquilibrés - les plus graves, car elles entraînent souvent la mort - et de multiples actes d'incivilité, le médecin est exposé à deux types d'agresseurs : le voleur classique opérant pour l'argent (60 % des cas), et le toxicomane en manque.
. 15 septembre 2003, au Val-Fourré, agression du Dr Trong Ruang Phan (vol de 200 euros) ;
. 11 septembre 2002, au Val-Fourré, le Dr X, de SOS-Médecins Yvelines, est frappé par deux jeunes (vol de portable), et a 5 jours d'ITT ;
. Août 2002, à Mantes-la-Jolie, le Dr François Muzart est battu et sa voiture est volée.
En vingt ans, plus de 40 médecins ont été tués, dont 12 femmes en dix ans. En Seine-Saint-Denis, on a compté plus de 1 000 agressions pour 2 000 généralistes sur une période de dix ans.

Philippe ROY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7402