UNE CRISE PSYCHOSOCIALE va-t-elle se propager en Europe après l’assassinat de l’espion Alexandre Litvinenko, mort le 23 novembre au University College Hospital de Londres des suites d’une ingestion de polonium 210 ? Des traces de ce radionucléide ont été détectées en faible quantité dans « à peu près douze » lieux de Londres, selon Scotland Yard. Et, surtout, deux avions de British Airways (BA) présentent des niveaux de substance radioactive qui ont entraîné leur retrait du service. Trente-trois mille passagers ont été contactés par la compagnie. Ils avaient voyagé entre le 25 octobre et le 3 novembre à bord des deux appareils. Cette alerte sème le trouble dans le public : BA indique que 60 000 pages ont été consultées à ce propos sur son site Internet et que 5 500 personnes ont téléphoné à la compagnie.
Par mesure de précaution, huit personnes ont été dirigées vers une clinique spécialisée pour une évaluation radiologique, a précisé l’Agence de protection de la santé (HPA), qui, la semaine dernière, avait déjà reçu 1 121 appels.
En France, au même moment, deux personnes qui avaient fréquenté un des hôtels-restaurants où serait passé Litvinenko, ont fait part de leur inquiétude à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Un million de fois plus toxique que le cyanure.
Devant la naissance d’une crise psychosociale qui pourrait donner lieu à des comportements de panique, le Pr Patrick Gourmelon, directeur de la radioprotection de l’homme à l’Irsn (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), se montre très rassurant : «Le risque sanitaire est dérisoire, dit-il au « Quotidien », mais on comprend que la panique puisse se répandre au sujet d’une substance un million de fois plus toxique que le cyanure. On ne connaît pas de dose létale chez l’homme, poursuit-il, mais les expériences menées chez l’animal permettent de penser que quelques microgrammes suffisent à exposer l’organisme en cas de contamination interne (incorporation par ingestion, inhalation ou injection) ». Distribué dans le foie, la rate et les reins, ainsi que dans les poumons, le polonium peut entraîner la mort. Dans le cas de Litvinenko, a indiqué le Pr Peter Zimmerman (King’s College de Londres), «le matériel radioactif est allé dans son appareil gastro-intestinal, où il a rapidement tué les cellules de la paroi de son intestin. Elles se sont détachées, provoquant des nausées, plusieurs hémorragies internes et une intense douleur».
«Quand vous descendez dans les doses, vous observez une bascule de risque, explique le Pr Gourmelon, avec la possibilité de développer à long terme des cancers radio-induits.»
Concernant la toxicité par contact cutané, «les effets délétères pourraient se faire sentir si le sujet léchait ses doigts contaminés. En tout état de cause, le parcours dans l’air des particules alpha émises par le polonium n’excède pas 4ou 5cm et il est arrêté par une simple feuille de cigarette.»
Ces données sont de nature à faciliter le transport du polonium 210 : si aucun container plombé ou métallique n’est nécessaire, il devrait échapper aux systèmes aéroportuaires des portiques de détection. Les responsables d’Aéroports de Paris (ADP) ont été alertés sur le sujet et ils pourraient rendre publiques des mesures appropriées dans les prochains jours.
A Air-France, le Dr Patrick Rodriguez, directeur médical, rappelle de son côté que des procédures réglementaires encadrent très strictement le transport, en cabine comme en soute, des produits radioactifs, en particulier de ceux qui sont utilisés en médecine : ils doivent être conditionnés avec des emballages doubles et des volumes de sécurité doivent être respectés autour du colis.
Pour l’heure, les patients qui consulteraient leur médecin, dans les cas d’empoisonnement aigu, justifieraient une hospitalisation en urgence. Les autres, en l’absence de symptômes, et pour lever des incertitudes liées à la fréquentation de lieux à risques, peuvent être orientés vers l’Irsn. Des recherches y sont effectuées dans les selles et les urines, par lesquelles le radionucléide est éliminé selon une période biologique d’environ cinquante jours. Une hot-line fonctionne 24 heu-res sur 24 (01.46.54.49.29 et 01.46.54.49.30).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature