De notre correspondante
Les responsables de la clinique Générale de Valence, dans la Drôme, ont tranché : pour tenter de rétablir la situation financière de leur établissement, ils ont décidé de doubler ou presque le forfait hospitalier à la charge du patient. Aujourd'hui légalement fixé à 10,67 euros, il sera majoré arbitrairement de 10 euros par jour, avec un plafond de 50 euros. C'est-à-dire qu'au delà de cinq jours d'hospitalisation le patient ou la patiente n'aura plus à payer cette majoration.
Autre décision des responsables de l'établissement et qui devrait créer quelques remous, notamment à lacaisse primaire d'assurance-maladie : la revalorisation des honoraires des médecins de la clinique concernant notamment certains actes, comme l'anesthésie.
Ces deux « mesures de choc » arrêtées par le conseil d'administration de la clinique devaient entrer en vigueur le 1er novembre. Mais, affirme Thierry Loursac, directeur de cet établissement, « nous avons préféré attendre un peu pour informer d'abord les patients de la clinique, et le public via la presse locale ».
Pour lui, la justification de cette hausse unilatérale du forfait hospitalier est simple. « Je m'engouffre, dit-il, dans la brèche ouverte par notre ministre de la Santé qui a décidé de majorer le forfait hospitalier pour compenser le déficit de l'assurance-maladie ». On sait en effet que, selon le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2004, le forfait hospitalier devrait être porté l'an prochain à 13 euros, si le texte du gouvernement, comme c'est probable, est voté par le Parlement.
L'augmentation des charges - « le coût des assurances a été en particulier multiplié par quatre entre 2001 et 2002 », explique la direction de la clinique -, combinée à la nécessité de mettre en uvre des vigilances (lutte contre les infections nosocomiales, notamment), a mis l'établissement dans une situation bien précaire, selon les responsables de l'établissement. D'où ces mesures.
Pas d'autres choix
« On nous dit que nous sommes des entreprises à but lucratif, mais je ne vois plus rien de lucratif dans notre activité. D'ailleurs, je n'ai jamais distribué de dividendes aux médecins » poursuit le directeur de la clinique valentinoise.
Pour sa part, le Dr Jean-Paul Camou, anesthésiste dans cet établissement et l'un des porte-parole de la coordination nationale des spécialistes, approuve sans réserve l'option de son directeur : « Les cliniques n'ont pas d'autre choix », assure-t-il. Et d'argumenter : « Nous sommes dans un système où les recettes sont bloquées aussi bien pour les médecins que pour les cliniques ; dans le même temps, nous avons tous des charges qui augmentent : que faire d'autre, à part déposer le bilan ? »
Depuis la fin des années 1990, le nombre de cliniques privées en difficulté ne cesse d'augmenter, insistent les responsables de l'établissement : de 30 à 50 % d'entre elles, selon les sources que l'on consulte, seraient aujourd'hui déficitaires. Or « l'hospitalisation privée fait plus de 60 % des actes de chirurgie, 40 % des actes d'obstétrique avec 20 % seulement du budget hospitalisation de l'assurance-maladie », tient à souligner le Dr Camou. Cette question sensible qui engage l'avenir des cliniques privées était à l'ordre du jour de la dernière réunion du comité régional des contrats de l'ARH Rhône-Alpes, le 5 novembre. Mais l'agence n'a pu que confirmer « qu'en l'état actuel de la législation une majoration du forfait hospitalier n'était pas possible », rapporte Gérard Chuzeville, chargé de mission. Tout en reconnaissant cependant que « la tarification actuelle n'est plus adaptée » à la situation économique des établissements.
Syndicat solidaire
Avec la réforme et la mise en place de la tarification à l'activité (T2A) dans l'ensemble des établissements publics et privés, la situation pourrait s'améliorer. Mais dans un avenir encore trop lointain pour les responsables des cliniques. « On nous promet une harmonisation d'ici à dix ans », s'indigne le président du syndicat régional de l'hospitalisation privée, Jean-Loup Durousset. « Quand on tient de tels discours à une entreprise en difficulté, c'est comme si on l'assassinait. »
En qualité de président-directeur général de la clinique Monplaisir, à Lyon, il a été contraint de réagir lorsque sa cotisation d'assurance a été multipliée par 6 entre 2001 et 2002. « J'avais alerté l'ARH, en précisant que nous ne pouvions plus compenser ces hausses par notre seule activité », explique-t-il. Il a donc dérogé de manière temporaire et exceptionnelle au principe du forfait hospitalier en réclamant aux patients 10 euros supplémentaires par journée d'hospitalisation. Cette majoration a récemment pris fin à la demande de l'ARH qui affirme qu'elle n'a jamais accordé de dérogation dans ce sens. La question posée à Valence reste toutefois la même. « Franchement, en tant que président du syndicat, je ne peux que regretter d'en arriver à des situations pareilles », poursuit Jean-Loup Durousset, « mais pour soutenir cet établissement, nous deviendrons solidaires. »
Au niveau national, la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) se démarque cependant de « cette initiative locale et individuelle ». Sa déléguée générale, Dominique Dorel, relève simplement qu'une majoration du forfait hospitalier avait déjà été « évoquée début 2003 au moment du rapport Domergue [sur la chirurgie] pour financer le surcoût de l'assurance RC ».
Quant au groupement CIRA (cliniques indépendantes de Rhône-Alpes), dont la clinique Générale de Valence et la clinique Monplaisir font partie, « aucune décision commune visant à augmenter le forfait hospitalier n'a été prise », a fait savoir son président.
Vers le déconventionnement ?
La CPAM de Valence est vivement contrariée par les initiatives de la clinique Générale. Le directeur de cette caisse, Jacques Levando, envisage de saisir l'ARH, ainsi que la direction départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, sur la question du forfait hospitalier majoré. « Nous regarderons de près les facturations et nous ferons certainement un gros effort d'information du public et de la clientèle potentielle de cette clinique sur ce qui est normalement facturé lors d'une hospitalisation. »
Le directeur de la CPAM admet que le contexte actuel n'est pas excellent pour les cliniques privées, « mais cela ne justifie pas que cet établissement emboîte le pas de ses médecins et se fasse le complice de dépassements tarifaires illégaux sur les honoraires ».
Il déplore qu'une étape supplémentaire sur la voie de la déréglementation des tarifs médicaux ait été franchi : « On accrédite l'idée, déjà bien ancrée, qu'il est normal de payer un dépassement dans les cliniques privées. » Pour les médecins de la clinique Générale, qui, en raison des dépassements pratiqués, sont déjà sous le coup de sanctions, notamment la suspension de la prise en charge par l'assurance-maladie d'une partie de leurs cotisations sociales, le contentieux risque de s'alourdir. D'autant que la caisse valentinoise n'écarte plus l'hypothèse de franchir une nouvelle étape vers le déconventionnement.
A Nevers aussi
« Dans quelques semaines, nous allons faire du dépassement économique qui ne sera remboursé ni par la Sécurité sociale, ni par les mutuelles », annonce Bruno Desmarquoy, directeur de la polyclinique du Val de Loire à Nevers (Nièvre).
Si sa forme définitive « n'est pas arrêtée », ce dépassement consistera sans doute à majorer le forfait hospitalier de « quelques euros » et sera précédé d'une communication auprès des patients et usagers, précise-t-il. Selon ce directeur de clinique, il s'agit de toute façon d'une « démarche temporaire pendant un an au maximum », en attendant que l'ARH de Bourgogne accorde d'autres ressources à l'établissement.
La polyclinique du Val de Loire, qui compte 109 lits et places et voit passer « 10 000 personnes par an en opération », a dû, comme les autres cliniques, se confronter au « financement insuffisant des 35 heures et au problème des primes d'assurance ». Mais « la goutte d'eau qui fait déborder le vase, c'est un problème de fiscalité locale », explique Bruno Desmarquoy. Ce dernier est en effet scandalisé par « la multiplication par onze de la taxe foncière et la multiplication par trois de la taxe professionnelle ». La hausse de la fiscalité locale « a fait plus que gommer les augmentations tarifaires depuis deux ans », affirme le directeur de cette clinique de Nevers.
A. B.
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