En déroulant à la veille de l’été les grandes lignes d’un projet de Loi sur le Médicament et la pharmacovigilance, annoncé par plusieurs rapports, à la suite de l’affaire Médiator, Xavier Bertrand répond d’abord à un impératif politique.
Poussé par une majorité de parlementaires et d’experts réputés de gauche et soutenu un peu plus froidement par sa majorité, le leader politique, homme d’action, un temps menacé comme ses prédécesseurs en charge de la politique sanitaire de la France, a mené l’attaque contre l’industrie pharmaceutique, les technocrates et experts de tous bords et… leurs « vilaines » habitudes.
Le rôle lui sied. Il a coupé l’herbe sous le pied de l’opposition. Il montre que l’État volontariste peut se réformer et que le sarkozysme qu’il incarne n’est pas totalement lié aux intérêts industriels et économiques. En professionnel du risque, il considère que les questions de sécurité et de précaution relèvent des États plus que de l’Europe. À la veille des élections présidentielles, le soutien affiché aux malades, la condamnation de « technocrates irresponsables » donne de bons arguments électoraux au président-candidat qui fut, un temps, lié à Jacques Servier par qui le scandale est arrivé.
Mais il serait injuste de ne retenir que cela. Le rapport Couty issu des Assises du médicament, ceux des députés Door-Bapt, puis Debré-Even et bientôt du Sénat, celui de l’IGAS, souvent pertinents, parfois partiaux, demandent des changements de culture et de pratiques chez les professionnels du système de santé. Tous ces élus et inspecteurs prônent plus de police sanitaire, de la vigilance sur les effets des médicaments, une vraie transparence des financements, moins de capital et de business et plus d’intérêt social et sociétal dans la Santé. De ce point de vue, les médecins, pharmaciens, les salariés des industries de santé, les journalistes de la presse médicale ne peuvent qu’y adhérer. Les médicaments inutiles, mal évalués, les mauvaises pratiques professionnelles doivent être abandonnés dans nos systèmes économiques à bout de souffle qui ont à prendre en charge de nouvelles molécules efficaces et hors de prix. Beaucoup a été déjà accompli. Beaucoup reste à faire et aurait dû l’être. Mais, comme toujours, il fallait paradoxalement une crise pour réveiller des consciences endormies et satisfaites d’elles-mêmes. Chacun peut même se saisir de l’Affaire comme d’une opportunité pour améliorer des images de marques mauvaises auprès du grand public, parce que trop liées à des intérêts capitalistiques et pas assez collectifs.
Pour autant, quelques réalités s’imposent et doivent être rappelées pour s’éviter des illusions naïves. D’abord, le progrès médical est « incrémental » c'est-à-dire qu’il s’opère par étapes successives et à tâtons, à force d’épreuves, les succès succédant aux échecs. Les prises de risques consenties sont à la base du progrès scientifique et médical. Il est en médecine fondé sur des ATU*, des essais thérapeutiques et cliniques, des médicaments prescrits « hors AMM ** » quand tout a été essayé… La recherche biomédicale nécessite beaucoup de moyens technologiques et d’argent privé qui complète des fonds publics rares.
Par ailleurs, l’information médicale et la formation scientifique, plus que jamais liées entre elles pour diffuser l’innovation auprès du lit du malade, dépendent plus de grandes revues scientifiques, de magazines et de journaux appartenant à des éditeurs privés, de congrès internationaux que de services publics d’information.
On le sait bien en effet : un État omnipotent soumis aux aléas politiques ne crée pas les conditions économiques du progrès scientifique.
Il y a peu de chance qu’une France « universaliste » convainque sur ces sujets les grandes économies modernes du bien fondé de trop de précaution, de l’usage à l’interventionnisme politique et d’un repli national. Plus grave encore, les majors de l’industrie mondiale, américains, anglais, suisses, Japonais… Accepteront-ils de passer sous les fourches caudines du gouvernement français ? D’autant qu’ils considèrent que l’affaire du Mediator est une « affaire française ». Les difficultés de la politique de santé du président Obama leur doivent beaucoup !
Pour autant, une fois les principes de la réforme annoncés, l’essentiel sera dans l’ajustement des détails et dans l’adhésion des professionnels. L’absence des prescripteurs – les libéraux surtout – dans les débats des Assises du médicament, les humiliations ressenties par certains groupes d’acteurs dont les industriels, mais aussi à l’hôpital, la période de surenchères électorales qui s’ouvre, créent un climat qui réclamera certes de la détermination, mais aussi du doigté.
** Autorisation de mise sur le marché.
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