Idées
Il est bien vrai que notre époque est tout sauf pudique. Marquée par le puritanisme hypocrite du XIXe siècle, la pudeur a été une première fois trucidée par les sbires de la « révolution sexuelle » des années 60-70 : jouir sans entraves et pour ce faire, exhiber son corps jusqu'à ce que la transgression elle-même se fasse oublier. De là a découlé, on le sait, tout un mode de vie : parents et enfants baignant dans la même nudité euphorique, loin de toute pudeur décrétée « valeur bourgeoise ».
De cette idéologie on passe facilement à un second meurtre implicite de la pudeur : celui que les médias et la télévision en particulier ont instauré : tout doit être montré et tout peut se voir, dénégation en forme d'aveu dirait Freud, hurler qu'il n'y a rien à cacher, c'est avouer qu'il a quelque chose de caché et qui le reste. En tout cas, nul n'est besoin d'insister sur cette éthique de l'irresponsabilité qui des images de guerre aux « reality shows » prétend exposer le réel « tel qu'il est » et montre que l'hypocrisie a changé de camp.
La pudeur fait d'emblée penser au corps, à la nudité, à la sexualité. De fait, elle implique un mouvement à double direction : ne pas s'exhiber, ne pas chercher à voir, elle est à la fois un sentiment et une attitude. Il n'est pas interdit, comme le fait l'auteur, de se demander si elle a toujours existé. Ceci nous vaut une intéressante querelle socio-historique. Norbert Elias qui, dans « la Civilisation des murs »*, la relie au développement des civilisations : faut-il par exemple faire remonter au christianisme l'interdit de la nudité ? En revanche, Hans Peter Duerr démontre que les primitifs se sont séparés de l'animalité en dissimulant leurs fonctions sexuelles et excrémentielles ; la pudeur relèverait selon lui d'une innéité universelle.
Le grand talent de Monique Selz est, si l'on peut dire, de désexualiser un terme que l'étymologie associe à la honte. La pudeur, montre-t-elle, est liée à la découverte d'autrui et à la nécessaire distance que réclame cette aventure. L'expérience amoureuse connaît autant d'échec lorsque l'un s'empare de l'être de l'autre, le phagocyte, qu'en cas de désamour.
Ainsi la pudeur devient-elle cet espace de respect d'autrui (que rend bien l'anglais « privacy »), un espace que violent souvent les médias... ou les médecins parfois, dans la manière d'aborder le patient alité comme « corps-objet ». Avec Monique Selz, la pudeur est un mouvement, un rythme qui voile et dévoile et « est porteur de désir et de vie ».
Si l'émergence de la pudeur risque de se faire attendre, le courage a selon le philosophe Michel Lacroix fait fièrement claquer sa superbe : le sacrifice des pompiers au secours des occupants du World Trade Center marque un exaltant repère.
Pour l'honneur
Dans le sillage de l'événement, il est apparu soudain qu'il fallait du courage pour tout : vaincre les dangers physiques, sauver le soldat Ryan, mais aussi résister aux intrusions, déjouer le harcèlement moral, affronter le jugement d'autrui et entreprendre une psychothérapie. Bref, avoir le courage d' « être soi », ce qui peut se résumer dans l'infinitif « oser ».
Mais en quoi le courage est-il admirable ? Pour reprendre un exemple de Kant, un bandit offensif n'en fait-il pas preuve ? Au lendemain du 11 septembre, William Saffart a créé un mini-scandale dans un éditorial du « New York Times » en parlant de « courage criminel » à propos des pirates. Michel Lacroix ne le sait que trop, en consacrant de longues analyses à tout ce qui peut dévoyer cette vertu, avec en prime l'intrépidité fanatique. Les passions nobles ne sont-elles pas toujours des passions dangereuses ?
Or le courage, dont la manifestation nie les différence sociales, est la seule vertu qui nous assure l'estime et la reconnaissance d'autrui et qui nous confère de l' « honneur ». D'une vertu à l'autre... notre société est selon l'auteur en manque d'honneur et donc en désir. C'est, selon lui, l'honneur qu'il faut présupposer sous certains comportements des « jeunes de banlieue ».
C'est à un très vibrant plaidoyer que nous convie là Michel Lacroix. Il a l'immense mérite d'insister sur ceci : l'éducation s'est beaucoup articulée au pulsionnel (comment trouver l'harmonie) ou au cognitif (c'est bien de savoir, le mal, c'est l'ignorance), mais pas assez au volitif, à ce qui en nous hésite ou veut. De fait, on pourrait démontrer que le courage, loin d'être une vague vertu jouxtant d'autres pots sur l'étagère, est la clef même des vertus et de la moralité : dans la générosité ou la responsabilité, il y a du courage.
Que l'auteur nous pardonne pourtant de ne pas, comme lui, en voir le paradigme dans le rap, qui, dit-il : « fait entendre, martelés avec violence, des refrains pleins de fierté ».
« La Pudeur, un lieu de liberté », Monique Selz, Buchet-Chastel, 141 p., 12 euros.
« Le courage réinventé», Michel Lacroix, Flammarion, Essais, 148 p., 12 euros.
* Calmann-Lévy, 1973, collection « Pocket Agora ».
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