Edouard Balladur publie dans « le Monde » un long article sur la réforme des retraites. Pour résumer, il propose, d'une part, d'abolir les différences entre les régimes du secteur public et du secteur privé et, d'autre part, de ne modifier ni le taux de cotisations ni le montant des pensions. Mais il souhaite prolonger la durée des cotisations et laisser les salariés choisir la date de leur retraite. Enfin, il se prononce pour un complément de retraite par capitalisation, qui n'est pas autre chose qu'un développement de l'épargne.
L'ancien Premier ministre aborde la question avec la minutie et la précision qu'on lui connaît, notamment quand il montre que la mécanique des régimes de retraite représente, pour la fonction publique, une sorte de privilège féodal par rapport au privé. Bien entendu, il demande à nos gouvernants le courage qu'ils n'ont pas eu jusqu'à présent, parce qu'il y a, dans ce domaine, des vérités qui ne plairont à personne. Mais il nous propose bel et bien un système qui ne diminue pas les pensions et n'augmente pas les cotisations, déjà élevées, et, en fait, il ouvre un débat beaucoup plus large.
42 ans de cotisations
En effet, pour la retraite de base, il propose que la durée des cotisations, passée (lorsqu'il était chef du gouvernement, donc entre 1993 et 1995) de 37 ans et demi à quarante ans, soit de nouveau prolongée jusqu'à 42 ans. Or, nous vivons dans une société au sein de laquelle l'application de la semaine de 35 heures contient un message de civilisation : l'homme n'est pas fait que pour travailler, il doit avoir le temps de se reposer, de se détendre et de se cultiver.
On découvre donc une contradiction flagrante entre la philosophie des 35 heures et la nécessité d'augmenter le volume global des cotisations retraites. Et les Français peuvent se demander s'il est logique qu'ils travaillent moins pendant la semaine, s'ils doivent travailler plus longtemps pendant leur vie.
On ne sera pas surpris de ce que la semaine de 35 heures ait été inventée par la gauche et que la proposition de 42 années de cotisations provienne de la droite, encore que ce soit Michel Rocard qui, le premier, a proposé de passer de 37 ans et demi à 40 ans. Mais les deux approches se situent sur une trajectoire de collision et si la gauche reste au pouvoir, il est vraisemblable qu'elle ne retiendra pas les idées de M. Balladur.
Le défaut des 35 heures, c'est qu'elles coûtent cher et qu'elles rapportent moins. Non seulement toutes les entreprises n'ont pas des structures assez solides pour les appliquer, mais de toute façon, dès lors que l'environnement économique n'est pas au diapason, elles fragilisent notre croissance. Si les autres pays européens ne sont pas aux 35 heures, leur productivité, à salaire égal pour 40 heures, est fatalement plus élevée que la nôtre.
Il en va de même pour les carrières : pas plus qu'il n'y a un nombre idéal d'heures pour la semaine active, il n'existe de durée idéale pour une carrière. Un intellectuel, par exemple un écrivain, n'arrête de travailler que lorsqu'il rend son dernier souffle. En revanche, une caissière de supermarché ne devrait jamais exercer son métier, répétitif et lassant, pendant plus de dix ou vingt ans, quitte à ce qu'elle soit reclassée dans une fonction différente.
La faute du gouvernement, c'est d'avoir fait croire, ou fait comprendre, aux Français que le travail est une occupation nocive, ce qui n'est vrai que dans certains cas, mais sûrement pas tous. Il y a des gens qui dépérissent au travail, surtout les ouvriers qui refont chaque jour les mêmes gestes ; il y en qui s'y épanouissent, notamment les créateurs. Le travail est donc à la fois la meilleure et la pire des choses.
Ensuite, il faut, en ce qui concerne la durée d'une carrière, tenir compte des progrès de la longévité : aujourd'hui, un sexagénaire a en général la forme d'un quadragénaire d'avant-guerre. Dire que cet homme-là a le droit de se retirer est absurde, car cela revient à renvoyer à l'inactivité une personne en possession de tous ses moyens. Non seulement il faut retarder (pour des raisons purement démographiques et comptables) le moment où le travailleur cesse de cotiser et vit des cotisations des générations suivantes, mais il ne faut pas soustraire des acquis de l'entreprise l'expérience et le savoir-faire de ses employés les plus âgés.
Ce n'est pas parce que des jeunes gens deviennent millionnaires en deux ou trois ans en créant des start-up triomphales qu'ils n'ont pas besoin de la sagesse de cadres plus rassis pour éviter une faillite ultérieure. Ce cycle succès-échec s'est vérifié à de nombreuses reprises ; et, aux Etats-Unis par exemple, il n'est pas rare qu'un très jeune P-DG s'entoure de quelques cadres deux fois plus âgés que lui. Le jour où on dira, en France, qu'il n'y a pas d'âge pour la retraite et qu'il n'y a pas de durée obligatoire pour le temps de travail hebdomadaire, notre économie fera un bond en avant.
Les patrons doivent accorder leurs violons
C'est pourquoi l'article de M. Balladur mérite d'être lu par les membres du gouvernement et par les décideurs de ce pays, à commencer par les patrons, qui trouvent logique, en période de contraction de l'économie, de se débarrasser de leurs cadres de 50 ou 55 ans, mais souhaitent retarder l'âge de la retraite. C'est trop facile de faire payer les organismes ad hoc, les laissés-pour-compte auxquels l'entreprise ne veut plus verser leur salaire. Pendant près d'un quart de siècle, on a mis ainsi au rancart des salariés munis d'une forte expérience dans le seul but d'utiliser une main-d'uvre à meilleur marché.
C'est un autre défaut de notre système : l'ancienneté est récompensée, pas l'efficacité ou le talent. Mais le principe à service égal, salaire égal devrait être en vigueur. Cela permettrait aux entreprises de ne pas être terrorisées par ces employés qui font chez elles une carrière de vingt ou trente ans et touchent des salaires beaucoup plus élevés que ceux des nouveaux arrivants.
Ce qui signifie que la question des retraites est inséparable de celle des rémunérations et de celle du temps de travail. Il vaut mieux examiner le problème dans son ensemble, si on ne veut pas pénaliser nos enfants et nos petits-enfants.
Pour terminer, l'idée d'une retraite par capitalisation est un leurre, sauf sur un point : l'épargne destinée à la retraite serait défiscalisée, ce qui reviendrait enfin à rendre justice à ces contribuables qui, après avoir payé des impôts sur leurs salaires, doivent en payer ensuite sur leurs économies. Mais la retraite par capitalisation a toujours existé : il y a des gens qui mettent de l'argent de côté, d'autres qui ne le font pas. Et bien entendu, il n'est pas étonnant qu'un cadre supérieur économise infiniment plus d'argent pendant une vie de travail qu'un ouvrier. La retraite par répartition a au moins l'avantage de corriger cette inégalité parmi tant d'autres : tout travailleur, qu'il soit économe ou non, qu'il joue en Bourse ou non, qu'il se constitue un patrimoine ou non, est assuré, grâce à la retraite, de bénéficier d'un revenu au-delà de sa carrière et quand il aborde la période de sa vie où il est le plus fragile, physiquement et socialement. Ce système est tellement juste du point de vue social qu'il mérite d'être sauvegardé à tout prix. Mais pour le conserver, il faut d'abord un minimum d'arithmétique ; il faut ensuite comprendre qu'il exige quelques sacrifices, qu'on ne peut pas travailler moins et augmenter en même temps le montant de sa retraite ; il faut enfin admettre que plus un système est collectif, plus il faut se méfier de ceux qui n'ont que des appétits individuels : de même que des gens qui ne sont pas plus malades que d'autres coûtent trop cher à la Sécurité sociale, de même beaucoup de gens font des plans de carrière fondés sur le projet de terminer le plus tôt possible leur vie active, et de commencer le plus tôt possible leur retraite. Ceux-là nuisent aux intérêts de tous les autres. Ce qui est sûr, c'est qu'un gouvernement n'est pas bien malin qui les encourage dans cette voie.
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