Le gouvernement avance à pas comptés dans la réforme des retraites ; François Fillon, ministre des Affaires sociales, et Jean-Paul Delevoye, ministre de la Fonction publique, multiplient les séances de pourparlers avec les syndicats de salariés. Ils promettent en outre que les modalités de la réforme seront étalées dans le temps, de façon que les inévitables sacrifices qu'elle exige soient ressentis moins douloureusement par les travailleurs. Mais, si les autres syndicats, notamment la CFDT, participent activement au projet, le gouvernement, avant même d'avoir formulé des propositions définitives, se heurte à un front du refus, constitué par FO et la CGT.
L'axe de la réforme, c'est l'alignement du système des fonctionnaires sur celui du secteur privé. Ce qui implique que les carrières dans la fonction publique seront prolongées de deux ans et demi. Cette mesure, qui devrait apparaître comme une simple « mise aux normes » inspirée comme la plus élémentaire justice sociale, soulève déjà un tollé.
Une ébauche de réforme
Or, si les cotisations pendant 40 ans pour tous sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes ; car elles ne constitueraient qu'une ébauche de réforme. Laquelle doit prendre en compte l'évolution des murs sociales et parvenir au cur de l'affaire : octroyer à tous les Français la responsabilité individuelle de la durée de leur carrière et leur proposer une retraite dont le montant sera variable selon le temps qu'ils auront travaillé.
Le gouvernement souhaite ajourner à l'automne les négociations sur les salaires et achever d'abord la réforme des retraites. Les syndicats qui refusent cet ajournement ont au moins un argument pour eux : en France, les salaires sont bas et on ne peut pas en même temps demander aux salariés de toucher un revenu faible, travailler plus longtemps et en même temps recevoir en fin de carrière une retraite insuffisante. C'est un parcours de misère.
Mais ce tableau masque d'immenses inégalités, à la fois dans les salaires et dans les retraites. Le problème vient de ce que, comme pour l'assurance-maladie, les gens les mieux lotis en matière de revenus du travail sont également les mieux servis en matière de retraite. Le bon sens montre que, dès lors qu'un revenu permet de dégager une épargne abondante, le montant de la retraite ne doit pas nécessairement être élevé. En réalité, tout le système est fondé sur le principe de l'inégalité : quand on a un salaire important, on peut être couvert à 100 % contre la maladie parce qu'on a les moyens de cotiser à une mutuelle ; on peut (on doit) cotiser aux régimes de retraite complémentaire ; on parvient souvent à épargner assez pour se constituer, en trois ou quatre décennies, un capital dont les intérêts compléteront une retraite déjà confortable et transmettre ce capital à ses descendants.
On ne peut pas faire tout ça avec le salaire minimum ou en travaillant à mi-temps. A la spirale de l'enrichissement induite par un haut salaire correspond la spirale de l'appauvrissement créée par un bas salaire.
Un acte politique fort du gouvernement consisterait à prévoir, à long terme, un salaire minimum qui coïnciderait avec le plafond de la Sécurité sociale, lequel détermine la retraite de base, soit la moitié de ce plafond.
Il est vrai qu'un tel dispositif coûterait très cher à la collectivité et que, pour le moment, il est inapplicable. Mais la justice sociale ne viendra pas seulement d'un alignement des retraites du secteur public sur celles du secteur privé. Il est certain qu'une hausse excessive du SMIC ruinerait les PME ou les forcerait à licencier. Aussi bien les entreprises plus grandes qui, hélas, sont aussi celles où l'on licencie massivement quand la croissance ralentit s'efforcent-elles d'offrir des salaires proches, égaux ou supérieurs au plafond de la Sécurité sociale. L'Etat aussi veille à maintenir les salaires à un niveau plus élevé que dans les PME. En outre, les règles qui régissent l'ancienneté dans l'entreprise permettent aux travailleurs de parvenir, en dix ou vingt ans, au plafond Sécu. Donc, si la tâche est immense, il est possible de l'accomplir en généralisant peu à peu une politique de salaires améliorés.
Responsabiliser le salarié
Mais cela implique que le salarié soit enfin responsabilisé et n'attende pas tout de l'Etat ; une augmentation de salaire n'est pas possible sans une hausse de la productivité ; la durée des carrières ne doit pas être inscrite dans le marbre : il y a ceux qui, lorsqu'ils quittent la vie active, veulent garder le même train de vie ou même l'améliorer ; et il y a ceux qui ont une bicoque en province, s'y retirent et y vivent des jours d'autant plus heureux qu'ils sont rustiques.
Pour les uns et pour les autres, tout dépendra de leur travail et de la durée de leur carrière. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y aura pas de régime par répartition indestructible si on donne aux retraités plus que ne peuvent cotiser les salariés. On peut, dans cette affaire, adopter une posture politique ou de circonstance, on peut clamer son amour pour les avantages acquis, on ne financera pas un régime de retraite déficitaire. Et au lieu de guérir un système malade, on finira par l'achever.
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