On se souvient que le 8 août dernier, Bayer a décidé le retrait brutal de son médicament. L'information est diffusée par les télévisions et les journaux grand public avant que les professionnels de santé n'aient pu être alertés. Parmi ces derniers, presque tous s'en étonnent, beaucoup s'en offusquent.
Chez Bayer, on répond que cette décision éthique et responsable a été prise sans retard dans l'intérêt des patients et l'on ajoute que le groupe n'a certainement pas pris une telle décision de gaieté de cœur. Par ailleurs, comme toute société cotée en bourse, le laboratoire a pour obligation de porter à la connaissance du public, sans retard, une telle décision pouvant avoir une incidence significative sur le cours de l'action. Même si, au plan général, on peut regretter une éternelle évolution, il reste qu'il aurait été difficile de réagir autrement ?
Par ailleurs, le débat a beaucoup porté sur la communication des données de pharmacovigilance par Bayer aux autorités de tutelle nationales et européennes. A ce titre, il faut rappeler que la communication en situation de crise ne peut pas faire dans la nuance, ce qui amène à penser que les 52 décès mentionnés dans tous les médias étaient imputables à la cérivastatine ; l'analyse des dossiers montre qu'il s'agissait de patients prenant de la cérivastatine, et souvent en association avec le gemfibrozil. Encore faut-il ajouter que le degré d'imputabilité est très variable dans les dossiers rapportés, voire nul dans certains cas. Autrement dit, la réalité de la pharmacovigilance est bien plus subtile et délicate que ce que l'on peut penser à la lecture des journaux. Par ailleurs, il semble que la transmission des informations au niveau européen n'ait pas été optimale mais on peut espérer que la mise en place progressive de l'« Europe du médicament » permettra des transmissions plus systématiques et plus rapides dans l'avenir. La difficulté du problème est bien illustrée par le récent commentaire de l'AFSSAPS qui, tout en reconnaissant que Bayer avait respecté à la lettre la loi, se plaignait que le groupe n'en ait pas respecté l'esprit : quand une agence gouvernementale en arrive à invoquer l'esprit des lois, cela ne traduit-il pas un certain désarroi ?
La dépendance vis-à-vis des Etats-Unis
Un autre aspect mérite d'être médité, concernant l'influence grandissante des stratégies nord-américaines sur des groupes pourtant européens comme Bayer.
C'est en effet pour aller dans le sens du concept très américain du « Lower is better » (s'agissant du taux de cholestérol) que Bayer a commercialisé la forme la plus dosée (ce qui n'était pas le cas en France par exemple). C'est aux Etats-Unis que l'on a vu le plus d'associations avec le gemfibrozil. C'est notamment à partir des données américaines que Bayer a pris une mesure drastique à l'échelon mondial. S'il fallait se convaincre que les Etats-Unis mènent le monde, dans le monde de la pharmacie, comme dans d'autres, c'est fait.
Mais plutôt que de se désoler de cette évolution, il serait sans doute plus positif d'en tirer les conséquences au plan politique. Car si le premier marché pharmaceutique mondial dicte de plus en plus sa loi aux autres, c'est bien parce que l'industrie européenne et en particulier française a de moins en moins les moyens d'affirmer son leadership et même sa différence : du retard en matière de biotechnologies aux freins administratifs et financiers, l'industrie française est souvent réduite au second rôle, avant de devenir, si rien n'est fait, simple comptoir de vente.
L'information du public mériterait mieux
S'il est trop facile de rendre la presse grand public responsable de tous nos maux, il est vrai que le retrait de la cérivastatine a gêné l'exercice des médecins et des pharmaciens pendant plusieurs semaines. A cet égard, on peut regretter que Bayer, mais aussi les pouvoirs publics, n'aient pas plus rapidement souligné le rôle irremplaçable des statines dans la lutte du risque cardio-vasculaire. Une réalité qui a été récemment soulignée par les résultats de l'étude HPS présentée à l'American Heart Association. Force est de constater que cette étude a été, elle, peu ou pas médiatisée. Pourquoi ? Il faudra bien qu'un jour on tente de combler le fossé entre des professionnels de santé auxquels on inculque régulièrement des données issues d'essais cliniques imposants et un public qui s'alarme du prix payé comme rançon du succès. On peut se consoler en disant que les effets d'un traitement hypocholestérolémiant ne se jugeant qu'à moyen et à long terme, l'arrêt momentané d'un traitement n'est pas dramatique mais il reste qu'il n'est pas souhaitable. En définitive, « l'affairecérivastatine » conduit à se poser beaucoup de questions. Des questions auxquelles on ne peut pas toujours bien répondre en sachant qu'un bon questionnement vaut mieux que la recherche du bouc émissaire palliatif qui est justement fait pour ne pas résoudre les vrais problèmes.
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