Chronique électorale
Les sondages montrent que Jacques Chirac progresse depuis qu'il s'est déclaré. Il se garde bien de crier victoire. Si le seul fait d'annoncer sa candidature permet de gagner trois ou quatre points, le phénomène jouera pour Lionel Jospin la semaine prochaine.
Les sondages sont plus significatifs quand ils relèvent une érosion de Jean-Pierre Chevènement. Il se peut que cette baisse de régime ne soit que passagère. Mais il se peut aussi que, plus près du choix, les électeurs deviennent moins capricieux et que, au vote d'humeur, succède le vote raisonnable. Ce qui indiquerait que l'immense éventail des intentions de vote au premier tour pourrait se plier dans les semaines qui viennent et qu'on assiste, une fois encore, à une forte bipolarisation de la présidentielle.
Baisse de moral
On note en tout cas une baisse du moral chez les « petits » candidats. Robert Hue, qui n'a pas trouvé l'audience qu'il espérait, laisse percer son impatience : le thème du complot est tellement répandu que lui aussi se présente comme la victime d'une « démarche orchestrée pour faire taire le PC ».
L'UDF est en crise. François Bayrou ne décolle pas vraiment et son mouvement risque d'être laminé aux législatives à cause de la prestation qu'il aura accomplie au premier tour. Les chiraquiens de l'UDF, comme Philippe Douste-Blazy, le pressent de renoncer. Hervé de Charette a la prétention de se présenter à son tour : il se croit peut-être plus populaire que M. Bayrou. Christine Boutin, pourtant candidate, verse quelques larmes sur la chute de son parti, à laquelle elle a quelque peu contribué.
Ce sont néanmoins de bonnes nouvelles pour l'Union en mouvement (UEM) qui se rassemble vendredi à Toulouse pour énoncer la plate-forme de l'opposition et introniser Jacques Chirac, dont M. Douste-Blazy affirme qu'il « n'est pas le candidat d'un parti ». Ce qui est vrai du président, mais pas de l'ancien maire de Paris, ni même du candidat qui, cette année et contrairement à 1995, n'est mis au défi par aucun autre membre du RPR. De ce point de vue, M. Bayrou a mené un combat courageux en essayant, mais en vain, de démontrer l'existence du centre. Hélas pour lui et pour l'UDF, il est parvenu au résultat contraire, d'autant qu'Alain Madelin s'est présenté au nom de Démocratie libérale. Il y a trop de centres pour en faire un qui soit significatif et M. Chirac profitera sans doute du désordre qui règne dans une partie de son camp.
De même qu'il devrait être bénéficiaire de l'emportement de Jean-Marie Le Pen, éternel candidat, voué à l'échec, et une fois de plus victime de ses propres imprécations. Il a probablement raison de jurer qu'il a bel et bien rencontré Jacques Chirac (et pas qu'une fois, dit-il), mais du coup il traite le président de menteur, ce qui est sans doute vrai, comme c'était vrai de Bill Clinton, mais cela fait mauvais effet. C'est une tendance naturelle des marginaux de se marginaliser : les extrêmes en rajoutent, ils tempêtent, ils pontifient et ils finissent par prononcer des énormités, comme Dieudonné M'Bala M'Bala, plus connu par son prénom, naguère figure sympathique du show business, exemple parfait du minoritaire qui s'est fait une place de choix dans la société, jusqu'au moment où sa détermination à corriger les injustices de la même société l'a conduit à dire que Ben Laden lui inspire du « respect ». Si la vocation d'un candidat marginal est l'irresponsabilité, il en donne un remarquable exemple et on n'a qu'une hâte désormais, c'est qu'il fasse son petit tour et s'en retourne à ses activités artistiques ; elles risquent, il est vrai, de nous faire rire jaune, car on aura appris, à la faveur de son aventure électorale, que cet humoriste n'est pas exempt de la bêtise qu'il dénonce.
La seule bataille qui compte
Bref, il ressort de cet aperçu très limité que pas mal de « petits candidats » font de leur mieux pour nous convaincre, nous qui aimerions voter de façon « originale », que la seule bataille qui compte est celle qui opposera Jacques Chirac et Lionel Jospin au deuxième tour. Morne choix qui oppose la crispation idéologique (après tout, le passé trotskiste de M. Jospin a peut-être laissé des traces) à la manipulation des masses par un discours insincère.
Ce qui grandit le candidat de la droite et celui de la gauche, c'est la qualité du débat chez les autres (sauf M. Chevènement, toujours cohérent et digne) qui, de Le Pen à Laguiller en passant par Hue, n'échappent guère à la démagogie, à l'archaïsme, à l'outrance. Ils nous dressent un tableau pessimiste qui n'a rien à voir avec la France d'aujourd'hui où l'insécurité, la pauvreté et le racisme n'empêchent pas une forte majorité de couler des jours heureux, quoi qu'on en dise et en dépit des manifestations et des grèves fréquentes qui traduisent davantage l'arrogance des corporatismes qu'une souffrance intolérable. Non, la vie n'est pas gaie tous les jours pour un grand nombre de Français, mais le paradis sur terre n'existe pas non plus. Et la politique ne peut donner que ce pour quoi elle est faite. Elle doit corriger des injustices, elle ne peut pas soigner un chagrin d'amour ou rembourser un homme qui a perdu au jeu son patrimoine. Certes, l'Etat a encore du pain sur la planche. Si seulement il consentait à ne se mêler que de ce qui le regarde, les choses iraient déjà mieux.
Si on ne veut pas d'un président qui admire Ben Laden, qui songe aux révolutions qui ont déjà échoué, qui bâtirait son pouvoir sur l'intolérance ou tournerait le dos à la démocratie, le choix, en vérité, est très restreint. Il est entre un mouvement qui a réalisé, à n'en pas douter, de belles réformes mais n'a de moderne que ce qui, chez lui, se rapproche des idées de la droite sur l'économie de marché, et un autre qui nous éviterait des mésaventures (comme celle des 35 heures), mais a quelque peu vieilli, a perdu son souffle et n'est pas un modèle de transparence. En d'autres termes, les hommes comptent infiniment moins que les programmes, ne serait-ce que parce que ces hommes ne nous offrent qu'un choix ennuyeux. C'est ça la démocratie : ni Ben Laden ni le grand soir.
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