Le divorce est depuis longtemps engagé entre le peuple et ses élites. Le fil tendu depuis la Révolution française entre les philosophes hier, les intellectuels aujourd’hui et les classes populaires s’est rompu. Domine désormais le temps du mépris selon le constat établi par Jacques Julliard et Jean-Claude Michéa dans un livre particulièrement stimulant*. Mais comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les figures d’un Jules Michelet, d’un Charles Peguy célébrant les noces entre le peuple et la Nation se sont-elles effacées de nos références partagées ? Alors que les commémorations du centenaire de la « Der des der » ont ranimé la flamme du souvenir chez les seuls historiens, c’est toute l’œuvre de Charles Péguy mort au combat le 5 septembre 1914 qui s’estompe de la mémoire collective. Dans sa préface sensible à la nouvelle édition des œuvres poétiques et dramatiques, Claire Daudin sonne l’alarme : « Sa poésie n’est pas sauvée ; en grand péril d’oubli, elle n’est plus guère lue ni enseignée. » Elle a le tort sans nul doute de n’être pas obscure. De porter la voix du peuple, d’incarner une poésie du pauvre entre lyrisme et spiritualité. En ces temps de séparation, de replis communautaires, c’est une poésie, comble de la provocation, pour tous. La première héroïne consacrée sera donc Jeanne qui n’a pas encore été confisquée par un parti et est au cœur d’une controverse nationale, notamment dans le camp socialiste. « C’est au peuple qu’elle appartient. Tous la trahirent ; le peuple seul lui fut fidèle », clame alors le grand socialiste Lucien Herr rapportés dans ce volume. Un siècle plus tard, Péguy est toujours l’homme des malentendus. Socialiste, puis patriote, dreyfusard puis chrétien, on ne peut le réduire à un seul combat, si ce n’est celui contre l’argent maître pour la première fois « sans limitation ni mesure ». C'est là le message de sa modernité, visionnaire d’un monde ravagé par l’individualisme et le calcul égoïste.
Repris, cité par nos deux « hommes de gauche », Péguy est une incarnation de figure morale. Il s’inscrit dans ce socialisme qui comprend nécessairement une dimension morale selon les vœux de Jean-Claude Michéa. Là est le point d’accord avec Jacques Julliard. Les deux auteurs s’étrillent sur d’autres sujets comme la notion de progrès, ou l’histoire de la gauche. Mais au-delà des divergences, le livre sonne l’appel à retrouver le peuple, aujourd’hui abandonné par les politiques officiels, livré à la culture mean street et ravagé par la crise. Mais n’est-il pas trop tard ?
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