ÉTATISATION LARVÉE et rétablissement de la maîtrise comptable : même si le gouvernement se défendra de proposer ce menu peu réjouissant aux médecins libéraux, il ne pourra plus masquer longtemps ses intentions. En introduisant un mécanisme de « verrouillage » strictement financier des dépenses de ville dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2009, présenté à la fin du mois, mais dont « le Quotidien » s'est procuré une première version), et en accentuant le contrôle de l'État sur la gestion du risque et la politique conventionnelle, le gouvernement affiche sa volonté de resserrer au plus près son emprise sur la médecine libérale. Un secteur dont l'évolution financière est jugée par Bercy toujours préoccupante à l'heure de la rigueur et du retournement de conjoncture.
Chassang : « ceinture, double ceinture et bretelles ».
De quoi s'agit-il ? L'article le plus spectaculaire (emblématique ?) s'intitule «refonte des CHAP (comité de hiérarchisation des actes et prestations) et stabilisateurs automatiques des dépenses de soins de ville». Il met en place un nouveau système de « bouclage » comptable sur les dépenses de ville, inédit depuis les dépassements d'honoraires du plan Juppé (1996) ou les lettres clés flottantes inventées par Martine Aubry (1999). L'an passé, déjà, l'addition avait été corsée pour les médecins libéraux, avec l'instauration des «stabilisateurs» budgétaires automatiques permettant de différer de six mois l'entrée en vigueur des accords de revalorisation (période d'observation), mais aussi de suspendre ces accords en cas d'alerte sur les dépenses maladie. Le gouvernement a l'intention d'aller encore plus loin en confiant à l'UNCAM la responsabilité «unilatérale» de baisser les tarifs des actes et prestations en cas de déclenchement de l'alerte (y compris lorsque ces tarifs ont été fixés par voie conventionnelle). En pratique, lorsque le comité d'alerte indépendant sonnera le tocsin – risque sérieux de dépassement de l'ONDAM (1) pour l'exercice en cours –, et dès lors que le dérapage sera «tout ou partie imputable» aux soins de ville, le directeur général de l'UNCAM sera habilité à décider sans concertation une diminution des tarifs des honoraires, actes, produits ou frais accessoires. Ce système de décotes tarifaires instantanées et unilatérales renvoie les professionnels libéraux aux heures les plus noires de la régulation comptable. «C'est un cocktail néfaste inspiré de Juppé et d'Aubry, c'est Jubry! tempête le Dr Michel Chassang, président de la CSMF. Pour les médecins, ce sera ceinture, double ceinture et bretelles. Si cela se met en place, on aura perdu plus de dix ans…» Et le leader de la Confédération de redouter un scénario catastrophe : «Avec ce système scandaleux, on signe en novembre 2008 le passage du C de 22 à 23euros; au printemps 2009, le comité d'alerte se déclenche; et, finalement, on se retrouve avec le C… à 21euros!»
La convention sous surveillance.
Le même article de loi crée un nouveau comité de hiérarchisation des actes et prestations (CHAP) directement rattaché aux ministres de la Santé et de la Sécu (sur le modèle du comité économique des produits de santé). Ses responsables – président et vice-président – seraient choisis par le gouvernement. Siégeraient dans cette instance décisionnaire cinq représentants de l'État, quatre de l'assurance-maladie et un des complémentaires santé ; en revanche, aucune trace des professionnels de santé contrairement au fonctionnement de l'actuelle commission dont le rôle deviendrait consultatif.
« C'est la fin de la gestion paritaire en matière de hiérarchisation des actes, l'État étatise la nomenclature. Les professionnels n'auront plus leur mot à dire», commente un spécialiste. Le gouvernement indique dans l'exposé des motifs que ce dispositif sous tutelle permettra une gestion plus efficace de la nomenclature, «notamment en prenant mieux en compte les gains de productivité et les économies d'échelle réalisés dans certains secteurs de l'offre de soins».
Ce n'est pas tout. Un autre article (n° 49) renforce le lien entre l'État et l'assurance-maladie quant à l'articulation entre l'ONDAM voté et la politique conventionnelle en cours. Certes, l'emprise de l'État sur les négociations tarifaires est aujourd'hui un secret de Polichinelle ; même si c'est le directeur de l'UNCAM qui conduit les discussions avec les professionnels, chacun sait qu'à l'heure des arbitrages cruciaux (hausse du C, par exemple) les ministres concernés (la Santé et Bercy) et même l'Élysée sont à la manoeuvre en coulisse. Mais, désormais, la «cohérence» entre le taux de l'ONDAM voté (en particulier le budget réservé aux soins de ville) et les négociations conventionnelles à venir sera vérifiée a priori. Un avenant annuel à la COG (convention d'objectifs et de gestion de la branche maladie signée entre l'État et la CNAM) précisera les actions engagées par les caisses (bilan détaillé) et les objectifs de gestion du risque découlant du taux d'ONDAM. Une autre façon pour l'État de « border » en amont les discussions conventionnelles.
L'avant-projet de loi prévoit par ailleurs de renforcer l'efficacité du dispositif de pénalités financières qui sanctionne les abus, fautes et fraudes des professionnels, assurés, établissements, transporteurs ou prestataires de dispositifs médicaux (outil à la main des directeurs de caisse). Deux ans après sa mise en oeuvre, le gouvernement juge que cette procédure n'a pas fait ses preuves (faible nombre de pénalités, montants limités) en raison de sa lourdeur et du coût pour les caisses. Cette procédure d'amendes graduées couvrirait de nouveaux cas d'abus, de fautes et de fraudes (au titre du bénéfice de la CMU complémentaire, de l'admission à l'aide médicale d'État, en cas de discrimination dans l'accès aux soins, contre les médecins dont les dépassements excèdent le tact et la mesure…) avec des sanctions mieux adaptées au grief et à l'acteur concerné. Des «montants planchers de pénalité» seraient instaurés en cas de fraude ; et certains plafonds seraient supprimés pour les pénalités liées à un indu. Pour la CSMF, «la caisse devient un garde-chiourme».
(1) Objectif national de dépenses d'assurance-maladie.
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