Entretien avec Benoît Leclercq

« Restructurons notre organisation afin de faire face à cette éventuelle pénurie de médecins ! »

Publié le 25/01/2010
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Face à un mouvement de protestation qui prend de l’ampleur dans le corps médical, Benoît Leclercq répond à l’inquiétude des personnels. En substance, la modernisation et le regroupement des structures aujourd’hui trop dispersées sont indispensables pour préserver l’unité de l’AP-HP. Démonstration.

Décision Santé. Comment se porte l’assistance publique-hôpitaux de Paris aujourd’hui ?

Benoît Leclercq. L’AP-HP se porte bien. Nous avons accueilli en 2009 plus de patients qu’en 2008. Sa situation financière tout en étant tendue est correcte.

D. S. Existe-t-il une montée de la contestation chez les administratifs et – facteur nouveau – chez les médecins ?

B. L. La modernisation de l’AP-HP qui sera documentée lors de la présentation du futur plan stratégique vise à regrouper nos hôpitaux autour de 12 groupes, afin que chacun puisse accéder à des soins de qualité et en toute sécurité et dans des conditions normales d’accessibilité et de temps. On en recense 38 actuellement. Par ailleurs, c’est aussi le CHU de l’Île-de-France. Il doit dans son cahier des charges dispenser des soins de recours et de référence. Ce qui exige des compétences humaines et des équipements techniques. D’où la nécessité d’un regroupement des équipes. Ces orientations, en cours d’élaboration, soulèvent une certaine inquiétude. J’entends ces incertitudes, je les écoute. Je sais ce qui est dit dans les assemblées générales. Il m’appartient de répondre à cette inquiétude par davantage de communication et de transparence sur ces projets.

D. S. Claude Évin dans le dernier numéro de Décision Santé estime qu’il n’y a pas assez de dialogue à l’AP-HP ? Le diagnostic est-il juste ?

B. L. Il y a une grande qualité de dialogue à l’AP-HP. Le positionnement des organisations syndicales est conduit par la crainte de la perte du statut particulier de l’AP-HP. Or, celle-ci reste une et unique. Par ailleurs, sa modernisation et sa restructuration contribuent au maintien de l’AP-HP comme établissement de référence. Le statu quo en entraînerait la perte.

D. S. Sur le plan stratégique, le directeur de l’ARS partage-t-il ce plan d’action ?

B. L. Je développe une politique de modernisation de l’AP-HP qui se traduit par le regroupement des activités administratives, des hôpitaux, la modernisation des systèmes d’information, l’amélioration du dialogue social. Ces différentes actions, conjuguées à une politique d’ouverture avec le tissu hospitalier francilien, sont la réponse à l’évolution de l’hospitalisation dans notre région, demandée par le directeur de l’ARS.

D. S. Y a-t-il trop de médecins à l’AP-HP ?

B. L. La pratique médicale évolue. Ce qui nécessite une évolution des modes d’organisation. Aujourd’hui, la tendance est plutôt à la constitution de grandes équipes traitant de masses critiques importantes. Ce qui nécessite des regroupements. Il y a assez de médecins à l’AP-HP. Nous devons en revanche améliorer notre organisation qui n’est pas performante. Comme dans les prochaines années, nous serons confrontés à une réduction importante des effectifs du fait de départs à la retraite. Nous devons anticiper le processus qui ne pourra être compensé numériquement. Restructurons notre organisation afin de faire face à cette éventuelle pénurie de médecins.

D. S. Avez-vous reçu des lettres de démission de médecins hospitaliers.

B. L. À ce jour, j’ai reçu la lettre de démission d’un chef de pôle.

D. S. Quelle est aujourd’hui la différence de coût entre l’AP-HP et les autres CHU ?

B. L. À travers la convergence T2A, sur un budget de six milliards quatre cents millions d’euros, on dépenserait entre 280 et 300 millions de trop. Nous menons une politique d’efficience qui devrait nous permettre en 2012 d’avoir des coûts comparables à ceux des autres établissements.

D. S. Cette réduction des coûts explique-t-elle les restructurations à venir ?

B. L. Les restructurations ne sont pas guidées par le besoin de réduire le nombre des emplois. Elles s’expliquent par l’exigence d’une adaptation de notre organisation au XXIe siècle. À l’avenir, le système hospitalier sera constitué d’équipes compétentes multiprofessionnelles, d’équipes de recherche performantes de niveau international, de plateaux techniques partagés. Prenons l’exemple de la prise en charge des grands brûlés. Nous disposions de structures dans les hôpitaux Cochin, Saint-Antoine, Rotschild. À l’avenir, les patients seront traités dans des locaux neufs à l’hôpital Saint-Louis avec des équipes regroupées. Il est vrai que les effectifs devaient être inférieurs à la somme des trois services précédents.

D. S. Y a-t-il des projets comparables en cancérologie ?

B. L. Nous développons l’idée de créer des centres intégrés de cancérologie et des centres experts. Les centres intégrés au nombre de huit doivent disposer des trois types d’activités et répondre aux exigences du plan cancer avec les consultations d’annonces, les soins de support, les soins palliatifs.

D. S. Quels sont les projets de l’AP-HP en matière de coopération sanitaire ?

B. L. Premier constat, le Grand Paris ne manque pas d’hôpitaux ou de cliniques. Dans Paris intra-muros, c’est autour de l’organisation de l’AP-HP que s’opérera la restructuration du territoire. Rappelons que nous ne pouvons plus construire d’hôpitaux, à l’exception des groupes qui disposent de réserves foncières. Or, nous sommes les seuls à en posséder. Au niveau de la petite et grande couronne, la densité des établissements de l’AP-HP est moindre. Nous devrons mener des collaborations encore plus étroites avec les autres établissements publics. Avec le privé, j’entends mener à bien des projets autour de la périnatalité. Les établissements privés qui réalisent des accouchements connaissent pour un certain nombre d’entre eux des difficultés. Nous ne souhaitons pas leur disparition. En cancérologie, nous avons un accord de coopération avec l’Institut Curie.

D. S. Où placez-vous la barre en matière de recherche ?

B. L. Notre politique de recherche s’appuie sur l’université. Depuis la promulgation de la dernière réforme, elle porte la recherche médicale. L’Alliance regroupe les universités et les opérateurs de recherche. Rappelons toutefois que 48 % des articles publiés dans les revues de référence sont issus de l’AP-HP. Aujourd’hui, les défis à relever sont en premier lieu la restructuration de la recherche clinique qui doit se traduire par une plus forte professionnalisation, le regroupement de centres de recherche intégrés, en association avec des initiatives publiques et privées. Ce qui nécessite l’édification de plates-formes lourdes regroupant des compétences. Enfin, en ce qui concerne la création des instituts hospitalo-universitaires, nous présentons trois dossiers en neurosciences, en cardiologie et en génétique. L’AP-HP dispose en son sein d’équipes d’excellence qui justifient de telles ambitions.

Propos recueillis par Pascal Maurel et Gilles Noussenbaum

Source : Décision Santé: 261