De notre envoyée spéciale
« A la mode angevine ». Autrement dit, lentement mais sûrement.
A Angers, la préfecture du Maine-et-Loire, le regroupement de sept cliniques privées en deux pôles - un scénario imaginé par l'Agence régionale d'hospitalisation (ARH) des Pays-de-Loire en 1999 - aura mis du temps avant d'être accepté par les acteurs locaux. Mais une fois l'intérêt de la manuvre compris et digéré, les résistances sont tombées, et chacun a mis du sien pour faire aboutir le projet. Date limite de mise en uvre : début 2007.
Depuis un an, les restructurations vont donc bon train. De nouveaux bâtiments sortent de terre, les équipes médicales et les plateaux techniques se regroupent. Tout cela, en parfaite harmonie avec le CHU de la ville, tiennent à souligner, non sans une certaine fierté, les médecins libéraux angevins. Pour preuve, les partenariats entre les secteurs hospitaliers public et privé se multiplient. Les échanges de praticiens se banalisent. Une réflexion commune sur l'organisation de la permanence des soins prend forme. Autant de facteurs qui font d'Angers un exemple intéressant en matière de réorganisation de l'offre de soins hospitalière. « Un modèle », avance-t-on à l'ARH.
La récente visite du ministre de la Santé n'est pas un hasard, se plait-on à penser. Le 26 septembre, Jean-François Mattei, de passage à Angers, avait salué « la présence d'un esprit d'entreprise », « la volonté des pionniers » et l'existence d'une collaboration public-privé « exemplaire ».
Le SROS : la première pierre de l'édifice
Au départ pourtant, le défi semblait loin d'être gagné. Retour sur la chronologie des événements avec Stéphane Ruelle, chargé de mission à l'ARH des Pays-de-Loire. « En 1999, l'ARH élabore un SROS qui recommande l'instauration d'une concurrence organisée - et non sauvage - entre les secteurs hospitaliers public et privé dans la région. L'offre privée était beaucoup trop éclatée sur Angers ; en même temps, il n'était pas question de modifier la place du CHU. On a donc décidé de regrouper les cliniques en deux pôles, autour de plateaux techniques importants, pour développer un projet médical consistant et permettre aux cliniques de passer le cap des quinze années à venir. »
Le SROS a constitué la première pierre à l'édifice. Il a ensuite fallu lancer la dynamique. Pas évident : en 1998, une première tentative de projet médical commun initiée par les médecins de certaines cliniques avait échoué. « Sur la base du SROS, l'ARH a organisé des réunions pour que les médecins discutent. Chacun voulait attraper le plus de spécialités pour son établissement, se souvient Stéphane Ruelle . Ça n'était pas simple non plus de définir qui allait se regrouper avec qui. » Voyant que les débats peinaient à aboutir, l'ARH, en février 2000, a soumis aux responsables des cliniques un projet d'accord. « Dans d'autres régions, le temps passe et rien ne se passe. Là, les médecins ont senti qu'on ne voulait pas lâcher. Cela a été le point de départ », dit Stéphane Ruelle.
Après la constitution des deux pôles, il a fallu répartir les activités. Et convaincre les congrégations religieuses à la tête de la plupart des cliniques de confier les manettes aux médecins. Un sacré challenge, relevé grâce au soutien de l'évêché. L'ARH a débloqué deux enveloppes de 4 millions d'euros pour aider au financement de chacun des deux projets.
Dans le « top ten » des cliniques de France
A Trélazé, à l'est d'Angers, se dresse maintenant le premier bâtiment flambant neuf du pôle, baptisé « Village santé Angers Loire ». Les médecins de la clinique Saint-Léonard y ont pris leurs quartiers depuis le mois de mai. Juste à côté, les coups de pioche s'accélèrent. Le site sera complété, d'ici à 2006, par un bâtiment qui accueillera le personnel de la clinique Saint-Joseph, un autre pour l'imagerie lourde, un centre de soins de suite venant de la clinique Saint-Claude et une maison médicale où 15 spécialistes de la clinique Saint-Sauveur vont transférer leur consultation. Toutes les activités seront centrées sur l'appareil locomoteur.
Au cur de ce projet d'envergure, un chirurgien, le Dr Guy Raimbeau. « Un visionnaire », d'après ses proches. Sa doctrine : « Les acteurs de soins doivent être des moteurs, et non des soutiers. » Le Dr Raimbeau milite depuis 1998 pour que le projet voie le jour. « C'était vital : nos bâtiments étaient obsolètes, les nouvelles normes de sécurité, trop coûteuses. »
Le plan Hôpital 2007 est tombé à point nommé. Explications du Dr Raimbeau : « L'ordonnance du 4 septembre 2003 répond exactement à nos aspirations, en donnant un cadre légal au groupement de coopération sanitaire (GCS), que nous allons construire pour réunir les services techniques communs des cliniques qui se regroupent (pharmacie, stérilisation, restauration...) ». En revanche, la fusion des plateaux techniques sur le nouveau site n'est pas à l'ordre du jour. « Chaque clinique garde son identité et sa dynamique », préfère le Dr Raimbeau.
L'autre pôle privé, la clinique de l'Anjou, a opté pour un schéma bien différent : les cliniques de l'Espérance, Saint-Louis, et Saint-Martin, qui se retrouveront sur un seul site en 2006, ont carrément fusionné. Au Village santé,
les médecins sont tous actionnaires (coût du projet : 45 millions d'euros). A la clinique de l'Anjou, ce sont les trois cliniques qui apportent les fonds (coût total : 27 millions d'euros). Son P-DG, le Dr Joseph Bakhos, chirurgien ORL, se retrouve, à 56 ans, à la tête d'une « entreprise de santé » qui comprend 600 salariés et 130 médecins. Principales activités : l'obstétrique, les urgences et la cancérologie.
Son rôle de gestionnaire, le Dr Bakhos l'assume parfaitement. C'est avec un large sourire qu'il raconte comment il a réussi un coup de maître : le bouclage des négociations avec les syndicats de personnel des trois cliniques en moins de quatre mois. « Cela n'était pas facile, se souvient-il, car cela impliquait d'harmoniser les salaires et les conditions de travail, de ne licencier personne, de créer un seul comité d'entreprise... » En 2006, la clinique de l'Anjou sera « dans le top ten » des cliniques françaises en termes de taille et d'activité. C'est du moins le rêve de son P-DG.
Retour à l'autre pôle, le Village santé : le Dr Raimbeau ne cache pas son scepticisme face à tant d'ambition. « La logique de rentabilité que suit la clinique de l'Anjou me semble moins fiable sur le long terme que notre modèle fédérateur, où les médecins sont actionnaires sans se sentir pris à la gorge par leur retour sur investissement », dit-il. Pour le savoir, rendez-vous dans quelques années. D'ici là, certaines rivalités risquent de perdurer entre les deux pôles libéraux, même si le Dr Bakhos s'en défend : « J'ai d'excellentes relations avec tous ici, notamment avec le CHU. »
Le rôle du CHU
Au CHU justement, on s'active pour anticiper les retombées de la redistribution de l'offre de soins privée. L'ARH a beau promettre que la place de l'hôpital ne sera pas modifiée, son directeur sent bien qu'il en sera autrement. C'est pourquoi il multiplie les partenariats et les réseaux avec les deux pôles de cliniques. Yvonnick Morice explique pourquoi certaines orientations doivent être revues : « Nous devons nous recentrer sur notre rôle d'établissement régional et universitaire. Je pense que les gens iront plutôt vers le privé pour les activités de chirurgie courante, programmée. De notre côté, nous garderons les "surspécialités", telles que la chirurgie cardiaque, la réanimation médicale, la neurochirurgie et la médecine nucléaire. » Pour le directeur du CHU, « il y a de la place pour les deux secteurs » à Angers. Sans la survie des cliniques, « le CHU ne serait pas parvenu à absorber toute la demande » des 500 000 personnes du bassin de population. Illustration avec l'obstétrique : « La maternité du CHU, de niveau 3, est déjà un peu en surrégime, avec 4 000 accouchements par an, explique le Pr Jean-Claude Granry, président de CME du CHU. On met en place un partenariat avec la maternité privée de niveau 2 de la clinique de l'Anjou, qui, à terme, pratiquera 3 000 accouchements par an. Les femmes auront le choix. Il vaut mieux deux maternités complémentaires plutôt qu'une grosse usine. »Idem pour les urgences : le SAU du CHU a passé un contrat relais avec le service UPATOU de la clinique de l'Anjou.
Le président de CME juge « équitable » la répartition des activités entre les deux secteurs. La concurrence, il y en aura sans doute, en orthopédie, en urologie ou en cancérologie. Ce n'est pas pour autant que les médecins libéraux et hospitaliers se tireront dans les pattes. « On a tous fait nos études ensemble, on se connaît et on s'entend bien », affirme le Pr Granry. C'est l'avantage d'exercer dans une ville de taille moyenne.
Un autre élément concourt à faire du projet de l'ARH un succès : le volontarisme des responsables politiques locaux. Commentaire de Jean-Claude Antonini, ancien médecin généraliste, devenu maire d'Angers (socialiste sur une terre solidement ancrée à droite), président du conseil d'administration du CHU et président d'agglomération : le regroupement des cliniques angevines n'a, jure-t-il, jamais été un enjeu politique. Au contraire. « On a élargi les routes près de la clinique de l'Anjou pour faciliter l'accès au SAMU, on a facilité l'acquisition des terrains, on a amélioré la desserte des transports en commun », raconte le maire, très satisfait « de l'esprit qui règne entre les acteurs de santé, tournés vers l'avenir plutôt que vers des querelles d'intérêt ».
Une ville à taille humaine, des praticiens qui se connaissent, une volonté de tous, politiques, médecins et tutelle, de réorganiser le paysage sanitaire pour éviter que ne se délite le secteur hospitalier local : voilà sans doute la recette qui a permis de lancer sur de bons rails le projet de l'ARH à Angers.
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