AUSSI PASSIONNÉE qu'elle soit, une campagne n'est pas passionnante à chaque instant. Les candidats ont besoin de faire des effets d'annonce. Ils ne s'en sont pas privés ; ils s'en sont même donné à coeur joie, avec, inpetto, la conviction qu'ils ne feraient pas le quart de ce qu'ils ont promis. Mais proposer de supprimer l'ENA, cela revient un peu à détruire le symbole plutôt que le mal, pour autant que ce mal existe réellement. L'Ecole nationale d'administration ne mérite pas les sarcasmes qui pleuvent sur elle depuis que nos technocrates se noient dans les déficits et la dette. L'ENA fait des têtes bien faites, pas des machines. Et ce ne sont pas les énarques qui prennent les mauvaises décisions, c'est le pouvoir politique, certes représenté parfois par d'anciens énarques, mais pas toujours. Et rien n'interdit de penser qu'un président ou un chef de gouvernement prend la mauvaise décision bien qu'il soit énarque et non parce qu'il l'est.
Un os à ronger.
François Bayrou a donc offert un os à ronger à quelques corporations, unies dans la haine des énarques qui ont déterminé leurs normes professionnelles et le montant des impôts qu'elles doivent payer. On ne voit pas pour autant comment la disparition de l'ENA (surtout si elle est remplacée, comme le souhaite M. Bayrou, par une autre institution censée être plus « démocratique », on sait ce que cela signifie) apporterait un remède aux grands maux qui nous accablent. M. Bayrou serait plus avisé de nous dire comment il va mettre au travail les deux millions de chômeurs français, et comment ils vont toucher un salaire décent.
Il est surprenant que les candidats les mieux placés nous parlent de tout, sauf de l'essentiel et que les candidats dits « petits », qui, eux, nous parlent de l'essentiel, aient des projets déraisonnables. Cela crée chez l'électeur la sensation que, en réalité, les candidats n'ont vraiment pour projets que ceux qu'ils ne pourront pas appliquer ou qu'ils n'en ont pas du tout ; et qu'ils se retrouveront Gros-Jean comme devant une fois qu'ils auront élu celui-ci ou celui-là.
Mais trêve de cynisme : un moyen existe pour ramener la campagne à ce qui compte ; il suffit d'organiser un débat à deux ou à trois et de laisser les journalistes poser les questions. On verra alors ce qu'ils ont à dire sur la dette, sur le chômage, sur le financement des mesures sociales, sur les retraites, sur le système de santé, sur l'éducation et la formation, sur la réforme de l'Etat, et on en passe. A deux, il faut faire trois débats ; à trois, un seul suffit.
Le coeur du problème.
Mais il risque d'être long et fastidieux. Voilà peut-être le coeur du problème : si on évite le fond pendant la campagne, c'est parce que le fond est ennuyeux et que les téléspectateurs, tout électeurs qu'ils soient, s'ennuient dès que l'on mentionne des chiffres. Et comme la télévision veut plaire à tout prix... De plus, aucun des trois camps ne veut d'un débat dans les règles de l'art : M. Sarkozy a bien dit, pour répondre à Mme Royal, qui suggérait une grande rencontre télévisée, qu'elle avait fait sa proposition trop tard, après la désignation des douze candidats officiels par le Conseil constitutionnel. Chacun des douze ayant droit au même temps de parole, il est effectivement devenu impossible d'organiser un débat équitable à la télévision. Il faudrait soit en faire 144, soit attendre l'entre-deux tours.
Mardi, François Bayrou a proposé un débat à quatre, Jean-Marie Le Pen compris, ce qui est courageux de sa part, mais ne résout pas le problème posé par les huit autres candidats. Il demeure que le pays a furieusement besoin d'une arène où seraient discutés des sujets autrement plus sérieux que l'usage du drapeau national ou l'ENA.
Il ne s'agit même pas d'un manque d'information : les candidats ont exposé dans des textes divers (y compris des livres qui se vendent bien) leurs idées et les décisions qu'ils prendraient au cas où ils seraient élus ; il s'agit de faire connaître leurs idées sans renvoyer le public à des textes touffus et surtout de laisser l'électorat déceler les nombreuses contradictions contenues dans les exposés. Si on passait au scanner tout ce qu'ils ont dit ou écrit, on s'apercevrait sans doute que certains propos en annulent d'autres : on pense à Ségolène Royal, interrogée par le magazine économique « Challenges », qui demande aux patrons de se développer et de s'enrichir. Cette injonction n'est pas forcément en contradiction avec son projet social, mais tout de même, s'enrichir, c'est souvent payer moins d'impôts.
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