Responsabilité médicale : les professionnels de santé s'impatientent

Publié le 09/10/2002
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Ils arrivaient en espérant de vraies solutions. Ils sont repartis « déçus », « mécontents », « frustrés ». Les représentants des professionnels et des établissements de santé n'ont réussi à obtenir du gouvernement ni promesse ni garantie concernant le retour des assureurs sur le marché de la santé, lors de la table ronde organisée lundi par Jean-François Mattei sur la responsabilité civile médicale (« le Quotidien » d'hier).

Les attentes exposées par chacun des acteurs concernés sont restées sans réponse, les conseillers ministériels se sont contentés d'en prendre note, rapporte le Dr Alain Liwerant, vice-président de MG-France. « Le seul élément positif que l'on peut tirer de cette réunion, résume le Dr Guy-Marie Cousin, le président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF), est l'annonce d'un projet de loi destiné à modifier la loi Kouchner (loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades), là où ça coince pour les assureurs ». Ce texte, que sont en train de rédiger les ministères de la Santé et des Finances en étroite collaboration avec la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), limitera la durée des garanties et allégera les responsabilités des assureurs concernant les dommages nosocomiaux, en obligeant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à en indemniser une partie.
Si elle admet que ces deux mesures vont dans le bon sens, la Fédération hospitalière de France (FHF) regrette que la table ronde n'ait pas été l'occasion d'obtenir des précisions sur leurs modalités d'application.
« On ne sait toujours pas à combien sera fixé le délai de prescription, ni sur quelle base de garantie (l'acte médical ou la consolidation de l'état du malade, NDLR) s'effectueront les indemnisations, regrette Thinga Nguyen, qui a représenté la FHF à la table ronde. De même, il ne nous pas été dit à quelle hauteur serait fixée la participation de l'ONIAM dans la réparation des infections nosocomiales. »
La FHF, tout comme les partenaires conviés à la table ronde, espèrent que la discussion ne va pas s'arrêter là, et que l'occasion lui sera donnée de réévaluer le projet de loi si besoin. « Jean-François Mattei s'est engagé à nous soumettre ce texte d'ici à une dizaine de jours avant son passage au Sénat », déclare Thinga Nguyen, qui y voit une preuve de la bonne volonté du ministre. Mais alors que la FFSA devait de nouveau rencontrer les conseillers ministériels mardi pour travailler le dossier, aucune nouvelle réunion avec les acteurs du système de santé n'a toutefois été prévue, au grand regret des syndicats médicaux et des deux fédérations de l'hospitalisation (FHP et FHF).
C'est d'autant plus regrettable, estime le Dr Cousin, que « l'ensemble des participants se sont accordés à dire qu'on ne pourra se passer de solutions transitoires, compte tenu du bref délai dont on dispose pour se sortir de la crise ». Or aucune des pistes transitoires envisagées lors de la table ronde n'a fait l'objet d'un consensus.
La première, la constitution d'un pool d'assurances, se heurte aux assureurs qui ne veulent pas avoir à collaborer entre eux. La deuxième, la réquisition des cliniques en mal d'assurance, ne fait pas l'affaire de l'Etat, qui refuse d'endosser la responsabilité des dommages qui pourraient s'y produire. La troisième piste, qui permettrait à l'ONIAM de gérer une assurance transitoire, contraindrait l'Office à outrepasser ses fonctions.
Certains ont même suggéré que la CNAM fasse office d'assureur, une solution qui n'a pas semblé recueillir l'assentiment de l'assurance-maladie.
« L'absence de calendrier précis pour la lecture parlementaire du projet de loi, l'évocation de pistes de travail sans prise de décision claire et nette... Tout cela paraît un peu fumeux », réagit le Dr Cousin, qui se dit « toujours inquiet » pour ses confrères gynécologues concernés en premier chef par la crise actuelle. « Il ne faut pas perdre de vue qu'on travaille sur de l'humain, poursuit le président du SYNGOF. Que va-t-on faire si aucune solution n'est apportée avant la mi-décembre? Une opération, un accouchement, cela se prépare à l'avance, il faudra bien orienter les patients. »

Des partenaires « frustrés »

L'inquiétude est aussi vive du côté de l'hospitalisation privée, 900 cliniques étant menacées de fermeture au 1er janvier prochain si rien n'est fait d'ici là. Alain Coulomb, le secrétaire général de la FHP, se dit « déçu » par la table ronde . « Même si je reconnais que l'assurabilité est un problème politique, et que ce n'est pas à la FHP d'y trouver une réponse, je trouve l'absence de solution très frustrante. »
Le problème a beau être moins criant pour les praticiens libéraux, le Dr Serge Lerüe-Charlusse, venu à la table ronde pour représenter la CSMF, a tenu à rappeler ses exigences. « On demande la prise en charge totale par la CNAM des surcoûts occasionnés par la hausse des primes des assurances. Or rien ne nous a été promis. » Le chirurgien prévient que « les chirurgiens, les anesthésistes et les gynécologues-obstétriciens ne supporteront pas que leurs primes d'assurance ressemblent à celles des autres pays européens, alors que nos honoraires sont deux à trois fois moindres ».
La FHF et la FHP, de même, se demandent qui va payer ce surcoût. Une demande que comprend, et qu'approuve Michel Dupuydauby, le directeur général de la Mutuelle d'assurances du corps de santé français (MACSF), qui assure quelque 230 000 professionnels de santé. « La société française dans son ensemble est responsable de la judiciarisation croissante dans le domaine de la santé, et donc, indirectement, de l'augmentation du montant des primes. Je juge donc indispensable qu'elle donne aux praticiens les moyens pour payer leurs cotisations. » En ce qui la concerne, la MACSF n'a pas davantage obtenu satisfaction lors de la table ronde. « On demandait que soit limité le droit de recours de la CNAM contre les médecins. Cela ne nous a nullement été promis », explique Michel Dupuydauby.
La FFSA, pour sa part, n'a pas souhaité s'exprimer. « Cette table ronde était une prise de contacts, explique Marie-Hélène Rivaud. Laissons au gouvernement le temps de rédiger son texte de loi. Pour le moment, il est difficile de dire si les mesures annoncées, dont on ignore la version définitive, iront ou non dans le sens d'un possible retour des assureurs français sur le marché de la santé. » Tout reste donc à faire.

Delphine CHARDON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7195