Face à la multiplication des affaires de santé publique, le gouvernement a fait adopter, le 5 octobre, par les députés, la création de commissions régionales de santé, dans le cadre de l'examen en première lecture du projet de loi sur les droits des malades.
Ces instances, mises en place par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, seraient présidées par un magistrat de l'ordre administratif ou civil et se composeraient d'experts et de représentants des usagers, du corps médical et des assurances. Après expertise, elles donneraient leur avis sur le caractère fautif ou non des accidents médicaux dont elles seraient saisies.
Pour la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui raisonne en pénaliste, de telles structures, « par le fait même qu'elles sont de construction extrajudiciaire, ne vont pas inciter à la judiciarisation de la responsabilité médicale ». « La porte ne serait pas fermée au judiciaire, laisse-t-on entendre, mais on programme des commissions qui vont se saisir de tout le contentieux médical, sans les garanties de la justice, dit-elle au "Quotidien" . En réalité, rien n'est prêt dans ce projet de loi qui a été présenté aux députés. Tout reste à faire, et il en va de même pour le dispositif d'indemnisation de l'aléa thérapeutique qui lui est lié. Il n'y a pas eu de débat ni de critique, et j'espère qu'il y en aura d'ici à la fin de la législature. Il faut entendre ce qu'en pense, par exemple, le Pr Jacques Hureau, expert près les tribunaux » (voir ci-dessous).
Mais pourquoi ces commissions régionales spécialisées en santé ? Tout est parti de Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui a interpellé à plusieurs reprises la Chancellerie sur la nécessité de mettre sur pied, à Paris, « un pôle judiciaire national de santé publique », à l'exemple du pôle financier, lui aussi centralisé dans la capitale. En tant que juge chargée de l'instruction des dossiers du sang contaminé, de l'hormone de croissance extractive contaminée, de la forme humaine de la maladie de la vache folle et du vaccin antihépatite B, elle s'inquiète de ne pouvoir traiter à fond ces dossiers et de ne pas les voir aboutir, faute de moyens. Aussi souhaite-t-elle « une compétence nationale pour instruire dans leur globalité des affaires qui mettent en cause des responsabilités administratives, politiques ou médicales concentrées sur Paris, alors que les victimes se répartissent sur l'ensemble du territoire ». A propos de « manque de moyens », Marie-Odile Bertella-Geffroy est interrompue à de multiples reprises par des coups de téléphone, lors de son entretien avec « le Quotidien », « car (sa) greffière en congé n'est pas remplacée, et ça sera encore plus compliqué, suppose-t-elle, avec les 35 heures ».
Le syndrome du Drac
La juge parisienne s'en prend à deux autres textes, déjà promulgués, sur les délits non intentionnels (15 juillet 2000) et la présomption d'innocence (15 juin 2000), qui, constate-t-elle dans la pratique, conduisent « à la déjudiciarisation programmée de la responsabilité médicale judiciaire ».« Pour les délits non intentionnels, il s'agit en quelque sorte du syndrome du Drac (torrent de l'Isère où se sont noyés plusieurs écoliers) : la Cour de cassation, en regard de la nouvelle législation, précise qu'il faut rejuger le maire, l'institutrice et la directrice d'école, poursuivis hier pour homicides involontaires. Et, bien sûr, il en est de même avec les affaires médicales, dans lesquelles la responsabilité est la plupart du temps indirecte. »
Sur les 50 dossiers de responsabilité médicale qu'instruit Mme Bertella-Geffroy, la moitié ira au non-lieu sous l'effet de la loi sur les délits non intentionnels. « Cette loi, conçue pour mettre à l'abri des élus, a mis à mal une jurisprudence centenaire sur l'homicide involontaire, qui s'appliquait aussi aux accidents du travail et de la route et à la responsabilité médicale. » Le Pr Jacques Hureau apporte une nuance : il fait remarquer que la responsabilité indirecte du médecin reste toujours prise en compte devant des juridictions civiles ou administratives.
Quant à la présomption d'innocence, regrette pour sa part Marie-Odile Bertella-Geffroy, elle entraîne, comme c'est le cas pour l'hormone de croissance, des demandes d'actes et de requêtes en annulation auprès de la chambre de l'instruction.
Mais en conclure que tous les médecins ou établissements de soins concernés de manière indirecte par un accident médical se trouvent dorénavant à l'abri de poursuites judiciaires serait évidemment caricatural, puisque la santé est de plus en plus dans le collimateur des juridictions pénales et civiles.
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