LE QUOTIDIEN DU MEDECIN - Vous êtes à la fois avocat et docteur en médecine. Comment percevez-vous l'évolution du droit de la responsabilité médicale ?
Me JEAN-LUC LUBRANO -Pendant des décennies, le droit a été protecteur pour les intervenants de santé mais, depuis quelques années, l'évolution de la notion de responsabilité est très nette dans le sens d'une plus grande reconnaissance des préjudices subis par les patients et, par suite, des responsabilités, conduisant à les indemniser.
Il faut dire que le patient était le moins protégé des consommateurs par rapport à l'ensemble des sinistres que la justice doit traiter. Par ailleurs, des situations humainement insupportables ont assurément joué un rôle de détonateur, amenant les magistrats à faire évoluer la jurisprudence en faveur des victimes.
Cette évolution concerne deux secteurs : le secteur administratif, la responsabilité des établissements de soins pouvant désormais être mise en cause de façon extrêmement facile et large ; le droit civil, qui a également enregistré des évolutions jurisprudentielles très importantes allant dans le même sens, c'est-à-dire d'une mise en cause beaucoup plus facile des intervenants de soins.
Au-delà des cas particuliers et de la mise en jeu de la responsabilité de personnes, il faut comprendre que cette évolution peut entraîner des modifications des conditions d'exercice, dans un sens certes souhaitable en ce que des conditions de mise en jeu de responsabilités mieux définies permettent d'améliorer les conditions d'exercice, mais aussi dans un sens défavorable en étant susceptibles d'entraîner des contraintes difficiles à concilier avec la réalité de la pratique quotidienne. Cela signifie que l'intervenant de santé ne doit pas rester un sujet plus ou moins passif qui tente, tant bien que mal, de s'accommoder de jurisprudences qui se font apparemment à son détriment ; au contraire, il doit être un interlocuteur actif n'hésitant pas à prendre des initiatives visant à rendre compatibles l'amélioration de l'indemnisation des patients et les conditions d'un bon exercice professionnel.
Des aspects multiples
Dans quels domaines pensez-vous que la jurisprudence puisse modifier l'exercice des professionnels de santé ?
Au niveau des compagnies d'assurance par exemple, qui peuvent prendre du recul par rapport à un secteur considéré maintenant comme « à risque », et aussi et plus simplement dans la pratique quotidienne.Mais dans beaucoup d'autres domaines, l'évolution de la jurisprudence a et aura des influences importantes.
Ainsi, il est de plus en plus évident que l'information des patients est une étape cruciale qui peut être source de mise en cause de la responsabilité de l'intervenant de santé. La notion de faute médicale mérite d'être analysée de façon précise, d'autant que la jurisprudence n'est pas totalement homogène, vu l'évolution jurisprudentielle de la faute administrative, de la faute civile et de la faute pénale.
L'augmentation des cas de responsabilité et donc des indemnisations qui en découlent conduit également à s'interroger sur le coût de l'indemnisation et sur le maintien du système actuel fondé sur la faute et qui repose uniquement sur les capacités d'indemnisation des compagnies d'assurances ou sur un élargissement du système avec modification de l'assiette des ressources financières : c'est l'une des questions posées par l'indemnisation de l'aléa thérapeutique.
Ces exemples montrent que les enjeux du droit de la responsabilité médicale dépassent de beaucoup l'analyse de cas individuels.
Etablir un dialogue entre médecins et juristes
Vous pensez donc que les intervenants de santé doivent s'intéresser davantage à la responsabilité médicale et participer par exemple à des colloques, comme celui du 20 juin ?
La participation à un tel colloque peut apporter à un intervenant de santé des informations précises sur les problèmes d'actualité mais aussi sur les grandes tendances de l'évolution jurisprudentielle. Une telle connaissance n'est pas inutile, loin de là, car la formation initiale ou continue réserve une place infime à ces données. Les médecins méconnaissent globalement le fonctionnement de l'organisation judiciaire et ils ont parfois l'impression d'être persécutés par une justice qu'ils connaissent mal. Cette méconnaissance est entretenue par le déroulement des procédures laissé à l'initiative de l'administration (dans certains cas de responsabilité administrative) ou de l'assureur. L'intervenant de santé a souvent tendance à se désintéresser de la procédure qui se déroule. Une telle distance n'est pas sans poser de problèmes, car l'administration ou les assurances peuvent avoir des intérêts légitimes qui ne sont pas totalement superposables à ceux des professionnels en cause. On peut souhaiter que les intervenants de santé soient beaucoup plus actifs, ce qui impose un niveau de connaissance juridique minimal.
Même si l'on ne peut pas demander un tel effort à tous les intervenants de santé, il est permis de penser que les responsables professionnels (Ordre, syndicats, sociétés savantes...) devraient davantage s'impliquer dans cette réflexion avec les magistrats.
Le magistrat n'est pas un ennemi
Il reste que, pour certains professionnels de santé, les magistrats sont globalement hostiles aux intervenants de santé...
Une telle vision des choses est erronée. En réalité, les magistrats n'ont aucun a priori négatif vis-à-vis de la médecine mais c'est un monde qui leur est étranger et qu'ils découvrent à travers ses échecs, des aspects parfois dramatiques et, il faut bien le dire, parfois condamnables.
Il existe aussi une difficulté de compréhension du langage médical par les juristes comme d'ailleurs par tous les non-médecins. D'où le rôle essentiel joué dans une procédure par l'expert, qui est un traducteur dans tous les sens du terme, ayant la mission difficile à la fois d'expliquer un contexte technique à un non-professionnel de cette technique et de porter un jugement sur ladite technique sans se substituer au magistrat. Une plus grande implication des intervenants de santé dans les procédures permettrait sans doute de faire progresser le dialogue.
Dans cet esprit, un colloque comme celui organisé par Dalloz fournit une très bonne occasion d'échanger des idées, de discuter de thèmes précis en permettant à chaque intervenant de s'informer et de faire valoir ses arguments en dehors de toute polémique. Ce dialogue est indispensable si l'on veut faire évoluer la jurisprudence dans le bon sens pour les patients et pour les professions de santé.
Le colloque Dalloz-« le Quotidien »
La Journée d'études Dalloz, parrainée par « le Quotidien » et consacrée à la responsabilité médicale, se déroulera le mercredi 20 juin, de 9 heures à 18 heures, à l'hôtel Méridien-Montparnasse. Elle sera présidée par Denis Mazeaud (professeur à l'université Paris-II) et Jean-Pierre Carbuccia-Berland (directeur des affaires juridiques à l'AP-HP).
Au programme : les sources de la responsabilité civile, pénale et disciplinaire ; l'obligation d'information ; la faute médicale ; l'obligation de sécurité ; la responsabilité et le diagnostic ; l'indemnisation des victimes de contamination post-transfusionnelle ; l'expertise ; le financement de l'indemnisation.
Renseignements et inscriptions : Catherine Legargeant. Tél. 01.40.64.53.90. Fax 01.40.64.54.69. E-mail : c.legargeant@dalloz.tm.fr.
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