«LE YAOURT LE PLUS CHER du marché veut renforcer les défenses immunitaires; il y avait un produit banal, il s’affiche en produit de santé. On ne mange plus uniquement par plaisir, on ne court plus pour la performance sportive, mais pour prévenir les risques cardio-vasculaires, on ne se maquille pas seulement pour être beau, mais pour prendre soin de sa peau, bref, on veut préserver, entretenir son capital santé.»
Selon Robert Rochefort, directeur général du Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), l’émergence de ce nouveau concept est le résultat d’une révolution pendant laquelle la santé est sortie de la sphère médicale pour devenir un mode de vie, un mode de consommation : «Ce n’est pas seulement une mine d’or en termes de marché, c’est aussi une bonne chose, affirme-t-il, car cela conduit à la responsabilisation de chaque individu, à la volonté de prendre en charge individuellement sa propre santé.»
Par exemple, le discours sur le vieillissement a changé, poursuit Robert Rochefort, on ne veut pas seulement bien vieillir, ce qui est plutôt le discours du médecin, mais on veut vieillir le plus tard possible, ce qui implique un processus de responsabilisation : «Les gens veulent se positionner dans une démarche positive par rapport à leur santé, participer au retard de leur vieillissement en prenant soin de leur capital santé.»
Les Français seraient donc prêts à prendre en charge leur capital santé, en adoptant les conduites préventives qui permettent de le préserver : 73 % d’entre eux estiment que la « bonne santé » est une question «d’entretien et de vigilance» (enquête barométrique Ifop 2006**).
Un outil, pas une religion.
Pour protéger ce capital santé, il faut l’évaluer, connaître ses forces et faiblesses. Les tests génétiques permettent d’anticiper la survenue de certaines maladies (purement génétiques), avec la mise en place de traitements précoces ou de prévention. De ce point de vue, la prédiction est fortement positive, estime le généticien Daniel Cohen, et les tests sont fiables. Mais cela ne concerne qu’une minorité de maladies, rappelle-t-il, celles où l’expression d’un seul gène, ou la combinaison de plusieurs, est pathologique quel que soit l’environnement. C’est le cas de 15 à 20 % des cancers du sein, par exemple. Dans la majorité des cas, la combinaison génétique ne deviendra pathogène que sous l’effet d’un ou de plusieurs facteurs environnementaux, qu’on ne connaît pas forcément. La prédiction d’une maladie devient dès lors peu fiable.
«L’évaluation du capital santé par test génétique est inéluctable, ils sont de plus en plus rapide et de moins en moins chers. Mais la génétique ne doit pas devenir une religion; c’est une condition nécessaire, mais pas suffisante pour gérer son capital santé», conclut Daniel Cohen.
Postulat et métaphore.
«Nous avons tous un capital santé à la naissance. Ce n’est qu’un postulat par définition indémontrable, nuance Alain Etchegoyen, philosophe. Reste à voir si ce postulat a une telle efficacité qu’il doive être pris en compte.» Un postulat doublé d’une métaphore : «A nous de faire fructifier ce capital.» Comme le directeur du Credoc, le philosophe s’intéresse à la notion de responsabilité qui est en cause dans le concept de capital santé : «Si nous choisissons de prendre des risques avec notre santé, ils engagent notre responsabilité. C’est la preuve de notre liberté.» De ce point de vue, le postulat est positif, poursuit-il, car il nous invite à l’autoévaluation. «Où en sont nos comptes?» Mais cette notion de risque ne doit pas être confondue avec celle de danger, met en garde Alain Etchegoyen. Les épidémies, les accidents, sont des dangers face auxquels la responsabilité individuelle ne peut être engagée.
Dérives discriminatoires.
Dans quelle mesure un individu peut-il réellement maîtriser son capital santé, demande Gérard Salem, épidémiologiste. La notion de prise en charge ou de responsabilité individuelle devient toute relative lorsqu’on constate, par exemple, une différence de dix ans d’espérance de vie selon les lieux où l’on habite en France, lorsqu’on relève une variation d’un rapport de 1 à 4,3 pour le cancer des bronches entre le Nord-Est et le Sud-Ouest ?
Si l’on prend en compte la mortalité évitable liée au système de soins, l’indicateur varie de 1 à 4 d’une ville à l’autre en France. Or cette mortalité évitable relève d’une double responsabilité, individuelle, dans l’usage qui est fait du système de soins, collective, au niveau de l’offre de soins.
La responsabilité de chaque individu n’exclut pas la responsabilité collective.
«Attention aux dérives discriminatoires», prévient également Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé à l’Institut d’études politiques de Paris. «A trop charger le capital santé de responsabilité individuelle, nous prenons le risque de l’exclusion, notamment dans le monde du travail, avec l’utilisation de certains indicateurs à l’embauche.» L’ancien directeur de cabinet au ministère de la Santé évoque les dangers de la protection sociale conditionnelle ; («Puisque je suis acteur de ma santé, mon comportement détermine ma protection sociale»).
«N’oublions pas que les facteurs sociaux sont déterminants dans l’évolution de notre capital santé: l’obésité est deux fois plus importante dans les foyers aux revenus modestes; malgré la hausse du prix du tabac, la consommation a augmenté de 4% dans les milieux les plus défavorisés, alors qu’elle baissait de 4% dans les milieux favorisés. A mon sens, la question importante est plutôt: comment augmenter le capital santé de la population dans son ensemble?»
* Les Entretiens Pfizer, La santé d’âge en âge.
** Etude réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 1 004 personnes du 18 au 21 septembre 2006.
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