Après chirurgie gastro-intestinale avec anastomose, il est habituel de préconiser une période de diète (« rien par la bouche » « nil by mouth » des Anglo-Saxons) ; une sonde naso-gastrique est mise en place pour « décomprimer » l'estomac, le patient est nourri par voie parentérale, la reprise d'une nutrition orale se faisant lorsque la motilité gastrique reprend.
L'objectif du « rien-par-la-bouche » est de prévenir les nausées et les vomissements et de protéger l'anastomose, lui donnant le temps de cicatriser avant d'être agressée par la nourriture.
« Toutefois, le bénéfice de retarder l'alimentation entérale n'est pas clair », estiment les Britanniques Stephen Lewis et coll. (Cambridge et Bristol) dans le « BMJ ». « Contrairement à une idée répandue, des arguments issus d'études cliniques et d'expérimentations animales suggèrent qu'il y a un avantage à reprendre une alimentation orale précocement. La dysmotilité postopératoire touche surtout l'estomac et le côlon, alors que le grêle retrouve une fonction normale de 4 à 8 heures après l'intervention. Une alimentation dans les 24 heures qui suivent une laparotomie est tolérée et les nutriments sont absorbés. »
Le collagène dans le tissu anastomotique
La chirurgie gastro-intestinale, poursuivent les auteurs, est souvent réalisée chez des patients dénutris, ce qui, dans les cas sévères, accroît la morbidité. Chez l'animal, la privation réduit le collagène dans le tissu anastomotique et diminue la qualité de la cicatrisation ; à l'opposé, l'alimentation orale s'oppose à l'atrophie muqueuse liée à la privation et accroît le dépôt de collagène dans l'anastomose. « Des données expérimentales chez l'animal et chez l'homme, poursuivent les auteurs, suggèrent que la nutrition entérale est associée à une amélioration de la cicatrisation. Enfin, une alimentation entérale précoce pourrait réduire les complications septiques après traumatisme abdominal et pancréatite. »
Plusieurs études ont tenté de comparer l'alimentation précoce au « rien-par-la-bouche » . L'équipe de Stephen Lewis a décidé d'en faire la métaanalyse. Au total, les auteurs ont revu onze études portant sur 837 patients. Les types de chirurgie étaient individualisés : pancréatique, hépato-biliaire, intestinale haute (au-dessus du jéjunum) et intestinale basse (au-dessous du duodénum). Dans six essais, les patients du groupe « intervention » avaient une nutrition entérale directement dans le grêle ; dans les cinq autres, ils étaient nourris par voie orale. Les essais étaient retenus dans la métaanalyse si les patients avaient eu une chirurgie gastro-intestinale élective et s'ils avaient été randomisés de façon à soit être nourris par voie entérale (dans les 24 heures suivant la chirurgie), soit à être pris en charge de façon traditionnelle selon le « rien-par-la-bouche » avec alimentation parentérale et introduction de liquides entéraux et d'aliments en fonction de la tolérance.
Pour chaque essai, les auteurs ont colligé diverses données : site de l'acte chirurgical, confection ou non d'une anastomose, pathologie bénigne ou maligne, type d'alimentation, mode d'administration de l'alimentation.
Les auteurs se sont penchés notamment sur les risques de complications liées à l'alimentation : déhiscence anastomotique, infections de tout type, infection de la plaie opératoire, abcès intra-abdominal, mortalité, durée du séjour hospitalier et vomissements.
Séjour à l'hôpital plus court
Selon sept des essais, l'alimentation précoce conduit à une réduction du risque de déhiscence anastomotique (risque relatif combiné : 0,53), sans hétérogénéité entre les études. Il n'y avait que peu de différences selon que l'anastomose était proche ou éloignée du site d'alimentation (p = 0,42).
Pour ce qui est des infections de tous types, le risque relatif était de 0,72 (p < 0,036). Des réductions du même ordre de grandeur étaient observées pour le risque d'infection de la plaie et le risque de pneumonie. Le risque de vomissements était augmenté chez les patients alimentés précocement (1,27 ; p = 0,045). Le risque relatif de décès était de 0,48 (de 0,18 à 1,29) ; p = 0,15). Enfin la durée du séjour hospitalier a été réduite de 0,84 jour dans le groupe nourri par la bouche.
Cette métaanalyse met à jour trois éléments essentiels, estiment les auteurs. « Premièrement, il ne semble pas y voir d'avantage net à laisser les patients sans rien par la bouche après résection gastro-intestinale élective. Deuxièmement, chez ces patients, une alimentation précoce peut être bénéfique. Troisièmement, nous croyons que ces résultats indiquent qu'il est nécessaire de conduire un essai clinique puissant pour évaluer l'alimentation entérale précoce chez les patients ayant une résection gastro-intestinale élective. »
La déhiscence anastomotique : complication majeure
La déhiscence anastomotique, expliquent les auteurs, est une complication majeure de la chirurgie gastro-intestinale, avec une morbi-mortalité considérable. Certes, indiquent-ils, on n'a pas atteint le seuil de significativité pour l'alimentation précoce, mais huit études sur les neuf qui ont rapporté une déhiscence ont indiqué un bénéfice. Quant au risque d'infection de tout type, c'est au niveau de la plaie opératoire que le bénéfice est le plus fréquent.
La réduction du séjour hospitalier, observé dans huit études sur onze, correspond à environ un jour ; « ce qui est économiquement important », font remarquer les auteurs, et qui peut être lié à une réduction du taux de complications et à une reprise plus rapide des fonctions gastro-intestinales.
« Il y a dans ces essais peu d'arguments pour garder les patients sans rien par la bouche. Bien que ces résultats soient clairement insuffisants pour conclure que l'alimentation précoce a un bénéfice prouvé, nous croyons qu'il faut un essai clinique adapté et puissant pour évaluer l'alimentation entérale précoce chez ces patients. »
« British Medical Journal » du 6 octobre 2001, pp. 773-776.
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