ON NE FÉLICITERA PAS le gouvernement pour sa gestion de l’affaire : il n’a pas volé la pluie de sarcasmes qui s’est abattue sur lui. Mais les railleurs, qui n’ont pas un sens très aigu de l’humour, et adressent des blâmes au président et à la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, ne sont pas non plus les détenteurs de la baguette magique qui aurait fait disparaître le navire pour le soulagement de tous.
Tapage international.
Le fond de l’affaire, c’est qu’il n’y a pas de politique officielle de démantèlement des bateaux qui ont fini leur temps ; que les chantiers navals indiens offrent les meilleurs prix pour faire ce travail, sans s’être jamais souciés des conséquences sur la santé de leurs ouvriers ; que les associations écologistes ont fait un tel tapage international que même l’Egypte a fait mine ne pas permettre au « Clemenceau » de franchir le canal de Suez ; et qu’un problème se pose maintenant pour le « Norway », ex-« France », dont ne veut plus le Bangladesh, chargé de le détruire et soudain saisi par la grâce environnementale. Pourtant, chacun sait que l’environnement et la protection des ouvriers ne sont pas la première préoccupation de l’Inde et de l’Egypte. Ce qui explique d’ailleurs la délocalisation des chantiers.
Le « Clemenceau » est resté en rade de Toulon de 1997 à 2002, sans que personne ne s’intéresse à lui ; et Michèle Alliot-Marie n’a pas manqué de rappeler que le gouvernement de Lionel Jospin n’a pas levé le petit doigt pour trouver un destin au porte-avions. Ce qui relativise la vigueur des attaques de l’opposition. S’il est vrai que le gouvernement actuel, chiche de ses sous, a essayé d’obtenir les meilleurs prix pour le désamiantage et le démantèlement, personne ne niera que nos dirigeants se sont embarqués dans une aventure dont ils n’ont guère pressenti les chausse-trappes.
Ils n’ont pas prévu l’efficacité des groupes écologistes. Lesquels ont poussé des cris si sonores qu’ils ont fini par déclencher de tardives réactions environnementales au Caire et la Nouvelle-Delhi. C’est la mondialisation à l’envers, à savoir que des écologistes, en France, en Inde ou ailleurs, peuvent empêcher la délocalisation d’un chantier pour que la santé des ouvriers soit aussi bien protégée dans un pays en développement qu’en France ou en Europe.
C'EST LA MONDIALISATION A L'ENVERS : DES PAYS EN DEVELOPPEMENT SONT SOUDAIN SAISIS PAR LA GRACE ENVIRONNEMENTALE
Un fiasco.
Et le précédent laissera des traces. On y regardera à deux fois avant de délocaliser et l’idée, coupable, d’envoyer des déchets de toutes sortes dans des pays pauvres est morte la semaine dernière. Les gouvernements étrangers hésiteront dorénavant à accepter des produits toxiques.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, la longue agonie du « Clemenceau », qui a littéralement caboté de port en port pour subir son désamiantage, lequel n’est pas terminé à ce jour, a débouché sur l’impitoyable arrêt du Conseil d’Etat qui a abaissé son statut de « navire » à celui de déchet. De sorte que lorsque Jacques Chirac a fait annoncer qu’il allait s’occuper de l’affaire personnellement, une grande institution lui a coupé l’herbe sous le pied : à partir du moment où le « Clemenceau » devenait un déchet dangereux pour l’environnement, il n’était plus exportable. Il est certain que le gouvernement français, jouant sur les mots, a essayé de se débarrasser du « Clemenceau » au meilleur prix ; sa tactique était cousue de fil blanc ; en définitive, la destruction du bâtiment aurait coûté beaucoup moins cher si elle avait eu lieu en France, selon des techniques éprouvées et dans les conditions de sécurité d’un pays équipé pour les respecter. Il ne fallait pas jouer avec les mots pour essayer de faire des économies.
Aussi la charge que subit Michèle Alliot-Marie nous semble-t-elle excessive. Si la ministre de la Défense a agi de la sorte, c’est sans doute qu’on lui a demandé d’explorer la filière étrangère : le « Clemenceau » est allé d’Espagne en Turquie, avant de tenter de voguer vers l’Inde et, au fond, le gouvernement, qui ne savait plus quoi faire pour s’en débarrasser, souhaitait sans l’avouer que cette gloire de la Marine française fût envoyée par le fond à la faveur de l’un de ses longs voyages, le dernier, celui qui le ramène en France en passant par le cap de Bonne-Espérance, étant l’apothéose d’une agonie mobile et planétaire.
Quand M. Chirac a fait mine de résoudre le problème, il n’ignorait aucun des travaux de désamiantage, aucun des voyages, aucun des problèmes sanitaires que posait le navire. La responsabilité attribuée à la ministre de la Défense nous semble donc destinée surtout à exonérer le président. Lequel, après tout, n’est pas non plus ingénieur maritime.
A n’en pas douter, il s’agit d’un terrible fiasco dû principalement à l’amateurisme avec lequel cette affaire a été conduite de bout en bout.
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