Santé des sans abri à Strasbourg

Répondre à des demandes multiples

Publié le 23/01/2017
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Organisée par le Service expert de lutte contre les hépatites virales d’Alsace (SELHVA) et la Permanence d’accès aux soins de santé (PASS) de l’hôpital de Strasbourg, la rencontre a rappelé, d’abord, les besoins sanitaires et sociaux des 110 000 sans-abri officiellement recensés en France en 2012 (1).

En constante augmentation, les migrants sans abri cumulent, en plus, les difficultés spécifiques à leur situation. Comme l’a rappelé le Dr Laurent Michel (CSAPA Pierre Nicole, Paris) un tiers des sans-abri présente des troubles psychiques, soit près de 10 fois plus que la population générale ; 21 % sont dépendants à l’alcool et 17 % aux stupéfiants, sachant que le « cocktail » addictions et psychiatrie est en lui-même un facteur aggravant vers la précarité.

La psychiatrie générale est peu adaptée pour y répondre, souligne-t-il, en préconisant avant tout les prises en charge globales associant réponses sanitaires et sociales adaptées… avec en premier lieu l’obtention d’un logement. Praticien hospitalier, le Dr Maude Royant se consacre aux patients « précaires » dans plusieurs structures, dont la PASS de l’hôpital et le centre de rétention administrative de Strasbourg. Elle côtoie tous les jours « les maladies de la rue », et rappelle les effets cumulés de l’absence de logement, d’eau, de vêtements et de nourriture pour les personnes vivant dans la rue, avec, en corollaire, des incidences très élevées d’affections hépato-gastriques, cardiologiques, dermatologiques et ORL.

Aspects psychiatriques de la migration

Il existe 8 PASS rien qu’en Alsace, dont une « psychiatrique », et plus de 400 au niveau national. Pour le Dr Pierre Tryleski, généraliste strasbourgeois mandaté par l’Union régionale (URPS) des médecins libéraux du Grand Est pour les questions d’accès aux soins, les PASS, associant aide médicale et sociale, constituent un précieux dispositif d’appui pour les professionnels de santé. Il rappelle, de plus, que l’URPS du Grand Est forme les médecins à l’identification de la précarité, travaille à la simplification des procédures administratives et, par ailleurs, permet aux médecins libéraux de consulter avec des interprètes médicaux qualifiés, indispensables face aux patients ne parlant pas le français.

La santé des migrants constitue un autre thème mal connu des médecins, et ce, encore plus en matière de santé mentale. Le Dr Myriam Cayemittes s’est intéressée, avec son association « Paroles sans frontières », aux aspects psychiatriques de la migration : si celle-ci n’induit pas de psychopathologie spécifique, certains troubles psychotiques, somatoformes, dépressifs et anxieux y sont fréquemment rencontrés, de même que beaucoup de dépendances et de conduites suicidaires. La migration est en soi un événement stressant, qui peut se révéler particulièrement difficile lorsqu’elle est suivie d’une désillusion sur la « nouvelle vie » dans le pays d’accueil. S’il existe des facteurs de protection face à ces troubles, tels qu’un projet migratoire construit, la cohésion familiale et l’emploi, d’autres facteurs aggravent les risques de troubles psychiatriques. Parmi ceux-ci, la jeunesse, le sexe féminin, les trop grandes différences entre le milieu de départ et d’immigration, ainsi qu’une qualification professionnelle très faible ou au contraire très élevée. Enfin, elle a abordé les traumatismes psychiques des migrants ayant été victimes de tortures dans leurs pays, une réalité délicate à saisir pour des soignants peu formés à ce thème.

(1)  Selon la définition de l’INSEE, 81 000 « sans abri » adultes et 30 000 enfants vivaient dans la rue en 2012. La Fondation Abbé Pierre avance, elle, des chiffres plus élevés, rappelant par ailleurs que près de 900 000 personnes sont privées de logement personnel.

De notre correspondant Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du médecin: 9549