AU DÉBUT, il y a le corps et le désir, premier moteur. Mais pour le philosophe Jean-Clet Martin, le destin n'est pas dans l'anatomie, et les sexes ne se définissent pas par l'absence en creux ou la surabondance triomphante de chair ou d'organe. Le masculin ou le féminin sont les conséquences de la production de fantasmes : « L'érection masculine n'existe que parce qu'elle est désirée par l'autre sexe, et cela est vrai de l'intimité féminine qui ne s'approfondit qu'autant qu'elle se trouve invoquée par un désir adverse. » Autrement dit, et le ton est donné, aucun manque n'expliquera jamais le désir, qui est au contraire le constituant des corps.
Une force accumulée.
On voit par là que l'auteur connaît son Spinoza-Deleuze par cœur et tire l'érotisme du côté d'une force infiniment accumulée (la chevalerie la détournait naguère vers les tournois et la guerre), en fait une satisfaction qu'il convient de différer. C'est bien ce à quoi contribuent le flirt, les premières approches, et de manière générale le fard, l'apprêt des chevelures, le parfum et les vêtements sexy, autant de thèmes traités dans le livre, qui habilement met en caractères gras chaque mot faisant l'objet d'un autre développement.
Cette conception de l'érotisme se sépare bien sûr de Freud et de ses effroyables « zones » qui font penser à la cartographie bouchère, mais aussi du ricanement à la Houellebecq qui ramène l'échange entre les corps aux processus d'un simple libéralisme économique dont la prostitution serait l'archétype. Chez Jean-Clet Martin, la libido, « au lieu de se déverser dans l'effusion des êtres s'appuie sur elle pour conquérir tout l'espace ».
Il en résulte une insolite analyse : les corps agissent sur moi par une sorte de double rayonnant. Traitant le sujet « sous-vêtements », l'auteur se préoccupe moins de l'excitant fétichisme que de la « grâce » du corps qu'ils captent. Ce que le sous-vêtement découpe, dit-il, « c'est l'aspect, l'idée du corps sous laquelle il sera lu, perçu, désiré, le fantasme qui préside à son sacre ».
Le nu revêtu.
Il en est de même du corps nu, qui ne l'est jamais totalement en fait. D'abord, cette nudité peut être posture grotesque car surprise, ou carrément ennuyeuse dans un calendrier de pin-up. Justement, le nu semble toujours revêtu d'un habit, d'un sens, d'une valeur d'exposition. Ainsi les nus de Boucher sont mis en scène à la manière du libertinage du XVIIIe siècle, et s'offrent ronds et rose bonbon. Même très déshabillées, les girls du Crazy Horse semblent revêtues d'une lumière qui offre et retire en même temps la présence charnelle.
Peut-être s'agacera-t-on parfois d'un ton néoplatonicien trop éthéré sur un sujet qui aurait admis des rubriques choquantes : moiteur, sueur, touffeur, poils, aisselles. La conscience semble tellement vigilante chez Jean-Clet Martin qu'aucune place n'est réservée à l'immersion et à la fusion. Entre « onguents » et « parfum », il n'y a pas de place pour « orgasme ». Reste le plaisir textuel.
Les Empêcheurs de penser en rond, 317 p., 18 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature