« Sans doute resterons-nous durablement et profondément marqués par cet événement dont personne ne voyait l'imminence et les conséquences si profondes », reconnaît Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS) dans le numéro spécial du « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » consacré à l'impact sanitaire du « séisme thermique » de l'été.
C'est le moment de tirer les leçons de la catastrophe : « Peut-être ce combat fut-il perdu parce que nous n'avions pas su faire de la surveillance des plus fragiles l'élément structurant de la veille sanitaire », dit le Pr Brücker. Pour lui, il importe de protéger en priorité les groupes les plus vulnérables et les plus fragiles - personnes âgées, malades isolés ou en situation de précarité, handicapés, malades mentaux...), « ceux-là mêmes qui se retrouvent un jour d'hiver rude ou d'été torride ou lors de tout séisme économique et social aux portes, toujours ouvertes, de nos services d'urgences ».
Des facteurs de risque
La revue bibliographique réalisée par une équipe de l'InVS retrouve bien parmi les principaux facteurs de risque individuels de décès en cas de vague de chaleur le fait de vivre seul et isolé, la perte d'autonomie, le fait d'appartenir à une catégorie sociale défavorisée ; et aussi les traitements par diurétiques, neuroleptiques ou par médicaments à propriétés anticholinergiques ou encore la consommation d'alcool et de drogues.
On peut également cerner des risques liés à l'environnement. Les lieux les plus à risque sont les grandes villes, où les activités humaines et la densité de l'habitat entraînent l'apparition d'îlots de chaleur, éloignées de la mer. Mieux vaut ne pas habiter dans de petits appartements, dans les étages supérieurs et sans climatisation. La pollution atmosphérique accentue aussi le risque de décès.
Outre le rapport de l'INSERM remis au ministre de la Santé (« le Quotidien » du 29), qui est résumé dans le BEH, différentes études de la surmortalité de l'été - 15 000 morts entre le 4 et le 20 août - viennent confirmer cette caractérisation des facteurs de risque. Dans les hôpitaux, entre le 8 et le 19 août, 2 851 décès consécutifs à un coup de chaleur ont été enregistrés ; la majorité (81 %) des victimes étaient des personnes âgées de 75 ans ou plus et 65 % des décès sont survenus chez des femmes. Chez les 60 ans et plus touchés, une autre pathologie était souvent présente (59 % des cas, dont 39 % de pathologies cardiaques). Une maladie mentale est retrouvée dans 30 % des cas chez les plus de 60 ans et 40 % des décès avant cet âge. Les personnes souffrant de troubles mentaux semblent particulièrement vulnérables en raison de la prise de médicaments favorisant l'hyperthermie mais aussi parce qu'elles sont peu conscientes du danger que représente la canicule, rappelle l'étude. Deux tiers des personnes décédées vivaient en institution, le plus souvent des maisons de retraite et centres de long séjour accueillant des résidents très âgés et dépendants.
Une notion importante ressort également de cette étude : près de la moitié des décès sont survenus alors que les premiers symptômes étaient apparus le jour même ou la veille. La prévention du coup de chaleur passe donc, pour les personnes fragiles, par une protection dès l'annonce de fortes températures ou même organisée très en amont.
La surmortalité a été aussi variable selon les régions. Dans sept villes (Bordeaux, Dijon, Le Mans, Lyon, Paris, Poitiers et Strasbourg), la courbe des décès semble suivre celle de la température. En revanche, à Lille, Grenoble ou Rennes, où il n'y a pas eu plusieurs jours consécutifs de très fortes températures (au-dessus de 35° pour les maximales et de 20° pour les minimales), on ne relève pas de pic épidémique de mortalité. Le rapport de l'INSERM dit la même chose avec d'autres chiffres : la surmortalité est de 30 % dans les départements avec 0 ou 1 jour de grande chaleur, 50 % pour 2 à 5 jours et 80 % pour 6 jours ou plus.
« Prévoir la survenue de tels risques doit être possible », indique Gilles Brücker dans son éditorial. Il ajoute que cela implique « un travail majeur d'adaptation des systèmes d'information ». Les données sont à portée de la main : celles qui viennent des intervenants sanitaires ont déjà fait la preuve de leur sensibilité et de leur réactivité (voir encadré). Reste la volonté politique de renverser les obstacles, quel qu'en soit le coût.
* N° 45-46/2003 .
Dès le 4 août...
Dès le 4 août, à Paris, les pompiers constatent une hausse des interventions pour malaise. Pompiers, SAMU, SOS-Médecins, nombre d'intervenants sanitaires peuvent fournir des données d'une manière très réactive, 48 heures pour des données consolidées. A Paris, les courbes des interventions pour problème cardiaque ou pour malaise et la courbe des hospitalisations chez des personnes de plus de 65 ans étaient totalement superposables à la courbe des décès. Des données fiables existent depuis plusieurs années et « leur sensibilité et leur réactivité sont des éléments primordiaux qui devront être pris en compte dans l'élaboration d'un dispositif d'alerte ».
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