I L n'est pas excessif de parler des responsabilités collectives de la France pendant la guerre d'Algérie dès lors que le conflit a été géré de la manière que l'on sait par les gouvernements d'alors et par l'armée. Que de surcroît le général Aussaresses, spécialiste de la torture, se soit complu dans le sadisme et qu'il le revendique encore aujourd'hui fait frémir.
Mais il est faux de dire que nous « découvrons » tout à coup notre passé, car nous le connaissions déjà : pendant les années noires de la guerre d'Algérie, il y a eu un débat national sur la torture avec les témoignages irréfutables des Français qui y avaient été soumis parce qu'ils avaient aidé le FLN.
Ne pas tout mélanger
De la même manière, les procès qui ont suivi la Libération avaient fait la lumière sur la collaboration, que nous avons « redécouverte » quarante ans plus tard, alors que, dès 1970, « le Chagrin et la Pitié », film-fleuve de Marcel Ophuls, démontrait de façon exhaustive les responsabilités de Vichy.
Sur la mémoire et ses absences, le discours est intarissable. Nous continuerons ici à défendre l'idée que la contemplation sans complaisance de l'histoire, loin de desservir notre pays, le renforce. Mais il faut se garder de tout mélanger et savoir distinguer, au contraire, des situations historiques différentes.
Sous l'Occupation, un régime a combattu ses compatriotes pour le compte de l'Allemagne nazie ; il s'est livré à des arrestations et à des déportations sur des Français sans défense. Si on retient la notion de continuité de l'Etat, il y a, bel et bien, une culpabilité de la France dans le sort qu'elle a réservé à une partie de ses propres citoyens.
Dans le cas de l'Algérie, nous avons combattu des groupes armés qui attaquaient la France, les Français et les intérêts français. Sans doute avons-nous opté pour une mauvaise politique, sans doute n'aurions-nous jamais dû autoriser la torture. Mais nous ne saurions nous reprocher aujourd'hui d'avoir lutté contre des ennemis déclarés. On peut se voiler la face et dénoncer toutes les guerres, mais la guerre est une réalité de toujours et elle n'est pas en voie de disparition.
Quand on lit que 56 % des Français souhaitent que la France fasse repentance devant l'Algérie, on ne peut qu'être surpris. Le FLN recourait lui aussi à de cruelles méthodes et il ne songe pas aujourd'hui à s'en excuser. On ne lui demande rien, mais on ne doit pas demander à la France de se frapper la poitrine pour des faits auxquels, rappelons-le, tous les militaires et tous les politiques n'étaient pas associés.
La France a laissé en Algérie un héritage culturel, économique et administratif. Elle a certes livré une guerre qu'elle aurait pu éviter. Elle a commis des erreurs impardonnables. Elle ne peut pas se reprocher d'avoir tenté de conserver ses positions sur le sol maghrébin. Son attitude à l'égard de l'Algérie n'a absolument aucun rapport avec l'attitude du gouvernement de Vichy à l'égard de ses propres compatriotes.
Le général Aussaresses était l'un des tortionnaires qui prenaient leurs ordres au gouvernement. Ils n'étaient pas toute l'armée, de même que le gouvernement n'était pas tous les Français et le débat sur la torture, à l'époque, a bien montré qu'entre le pouvoir et l'opinion les différences étaient claires. Ceux qui ont dénoncé alors la torture doivent-ils faire maintenant acte de repentance ?
Un moyen commode
Il ne faudrait pas que la repentance soit sytématique : à trop la pratiquer, nous y trouverons très vite un moyen commode (après tout, elle ne coûte pas cher) d'enterrer le passé. La folle médiatisation de tout, passé, présent, avenir, entraîne une confusion où le sujet du moment devient éphémère. On dit repentance et on passe à autre chose. Non, il faut dire ce que nous avons fait, nous en souvenir, et adopter des règles inaltérables pour ne pas tomber dans les mêmes excès la prochaine fois.
Car les occasions ne manqueront pas pour tester cette sorte de virginité que confèrerait la repentance répétitive ou permanente. Il sera extrêmement intéressant de voir combien de Français, confrontés une nouvelle fois à une tragédie nationale, s'élèveront contre certains moyens dégradants que tout pays utilise pendant la guerre. Il sera passionnant de voir combien de Français le général Aussaresses aura immunisés contre la torture. C'est très facile de dénoncer les crimes de la génération précédente. C'est beaucoup moins facile de ne pas céder aux impulsions qui conduisent à de tels crimes.
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