Le Généraliste. En France, l’épidémie reste plutôt stable ; comment interprétez-vous ces chiffres ?
Pr Jean Michel Delfraissy. Entre 6 et 8000 personnes contaminées par an en France : c’est un chiffre totalement inacceptable pour notre pays, au vu des moyens de communication, de dépistage et de prévention dont nous disposons. Les messages de prévention mais aussi d’incitation au dépistage doivent être repensés et réadaptés. Toutes les populations ne sont pas soumises de la même façon au risque d’infection par le VIH, ce qu’a notamment souligné l’étude PREVAGAY (1). Il s’agit d’une enquête sur la séroprévalence du virus, associant un prélèvement biologique à un questionnaire comportemental, réalisée du 28 avril au 5 juin 2009 auprès de plus de 1500 hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et fréquentant des établissements de convivialité gays parisiens. Sur les 886 tests VIH et questionnaires finalement analysés, 157 participants ont été diagnostiqués séropositifs pour le VIH … soit une prévalence biologique « quasi africaine » : 17,7% ! Et parmi ces HSH séropositifs pour le VIH, 20% l’ignoraient ! Autre problème : les populations migrantes originaires d’une zone de haute prévalence, chez lesquelles la séropositivité est plus fréquente. Au total, près de 40 000 personnes seraient infectées par le VIH tout en l’ignorant. Une fois de plus, la France s’illustre par un paradoxe : c’est l’un des pays où l’on réalise le plus de tests de dépistage (5 millions pour la seule année 2007), mais ces derniers ne ciblent pas les bonnes personnes !
Quelles stratégies proposer ?
Pr J.-M. D. En 30 ans, les mentalités ont changé. Le « politiquement correct » n’est plus d’actualité ; les risques éventuels de stigmatisation et de discrimination liés à l’homosexualité et à la séropositivité sont désormais obsolètes. Les stratégies de prévention doivent s’adapter aux données épidémiologiques. Les Centres de dépistage anonyme et gratuit, créés dans le contexte très particulier des premières années de l’épidémie, ont parfaitement rempli leurs fonctions ; mais là aussi, il faut faire évoluer le système, sans doute le rendre à la fois « moins médical et plus associatif », - ce qui d’ailleurs répond à la demande des associations de patients. Il s’agit là d’une réflexion prioritaire, menée au niveau national, comme l’ont souligné les recommandations HAS d’octobre 2009 qui proposent une nouvelle stratégie de dépistage (population générale et population ciblée)(2). La prochaine étape, très attendue, est la publication du futur rapport de France Lert et Gilles Pialoux sur la prévention et le dépistage de l’infection sur le VIH.
Les comportements à risque se multiplient. Comment l’expliquez-vous ?
Pr J.-M. D. Par l’association de plusieurs facteurs. Tout d’abord la chronicisation du Sida, rendue possible grâce aux avancées thérapeutiques : la maladie ne semble plus aussi grave ; les plus jeunes n’ont pas été marqués par les morts tragiques du début de l’épidémie. Parallèlement, il y a un « facteur banalisation » : à distance, tout semble faussement simple, les traitements comme le vécu de la maladie. Enfin, on peut évoquer un « effet pervers » de la trithérapie préventive, proposée systématiquement en cas de rapport à risque non protégé ; cette trithérapie abaisse considérablement le risque de transmission du VIH, mais ne l’annule pas. Malheureusement, certains patients assimilent ce traitement à une « pilule du lendemain » ; ils se pensent hors de danger et ne prennent plus aucune précaution.
En ces temps de pandémie A(H1N1)v, que conseiller aux patients séropositifs ?
Pr J.-M. D. L’ensemble de la population doit être vaccinée. Cela concerne donc aussi les patients séropositifs. Suivant les préconisations de la DGS, dans notre service hospitalier, nous contactons tous les patients que nous suivons et leur proposons d’être vaccinés dans nos locaux plutôt que dans un centre dédié (NDLR. Pour des raisons de confidentialité, les patients VIH ne recevront pas de convocation de la part des caisses primaires d’assurance-maladie. Ils seront d’abord contactés par les établissements de santé qui les suivent ou les ont reçus au cours des 12 derniers mois). Selon les cas, ils pourront soit se faire vacciner dans l’hôpital qui les suit, soit se présenter auprès de leur caisse primaire d’assurance-maladie pour y retirer (sur présentation du courrier de l’hôpital) un bon de vaccination leur permettant de se rendre dans un centre dédié.. En principe, les plus vulnérables sont prioritaires : absence de traitement antirétroviral, taux de CD4 à moins de 500/mm3, comorbidité, tabagisme, précarité, enfants de moins de 5 ans… En pratique, tous ceux qui le désirent sont vaccinés de suite. Le schéma préconisé est celui du vaccin avec adjuvant, en 2 doses, excepté pour les femmes enceintes et les enfants.
De récentes recommandations ont tenté de redéfinir le rôle du médecin généraliste, en l’impliquant davantage dans le suivi des patients VIH (3). Qu’en pensez-vous ?
Pr J.-M. D. Ce n’est qu’un début. L’infection par le VIH est encore une maladie « hospitalière » et « publique » : la plupart des patients sont suivis en milieu hospitalier, très exceptionnellement en clinique, et rarement par leur médecin traitant. Mais le sida est devenu une maladie chronique, au même titre que le cancer : dans le 1er cas, le patient est sous trithérapie afin de contenir un virus résiduel ; dans le second, c’est souvent une biothérapie qui prend le relais de la chimiothérapie pour enrayer un mécanisme carcinomateux. Ce parallélisme souligne l’implication potentielle du médecin généraliste dans le suivi des patients VIH, tout comme il est désormais impliqué dans le suivi du patient cancéreux ou transplanté. Mais cette réflexion doit aller encore plus loin. Parce qu’il est en première ligne, le médecin généraliste a un rôle capital à jouer vis-à-vis du dépistage. Dans cet espace de confiance et de confidentialité, faire préciser les comportements et les risques sexuels de son patient peut devenir aussi simple et systématique que la recherche des antécédents personnels et familiaux. Le dépistage de l’infection par le VIH doit devenir une prescription facile et banale, au même titre que n’importe quel autre examen biologique. C’est sans doute l’un des moyens les plus efficaces pour enrayer l’épidémie.
(2) HAS. Dépistage de l’infection par le VIH en France : stratégies et dispositif de dépistage. Octobre 2009.
http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_866949/depistage-de-linfection-p…
(3) SPILF, SFLS. Consensus formalisé pour la prise en charge du VIH en médecine de ville. Mars 2009
http://www.infectiologie.com/site/medias/_documents/consensus/VIH_ville…
(4) Source Onusida
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