L'encre du protocole national sur la permanence des
soins signé entre l'Etat, l'assurance-maladie et l'Ordre était à peine sèche qu'une vague de réactions indignées a déferlé contre ce texte, avec une cible privilégiée : le Conseil national de l'Ordre des médecins, représenté par son président signataire, le Pr Bernard Hoerni.
Certes, l'institution ordinale, que le corps médical ne ménage guère, a souvent essuyé les critiques cinglantes de médecins. Mais, dans cette affaire, le tir de barrage déclenché et la violence des attaques peuvent surprendre.
La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) et le Syndicat des médecins libéraux (SML) ont donné le ton dans un communiqué commun en stigmatisant « le retour du service de garde obligatoire (SGO) » pour les généralistes, allusion au STO institué par le gouvernement de Vichy en 1943 pour fournir de la main-d'oeuvre aux usines du Reich. Les deux organisations expliquent, pour être encore plus claires, que « le temps de l'esclavage est révolu » et demandent à l'Ordre de renoncer à un accord signé « en catimini ».
Que dit le protocole ? Il prévoit que les conseils départementaux de l'Ordre définiront localement, après concertation avec les caisses et en accord avec les préfets, les secteurs de permanence des soins où les médecins d'astreinte devront se rendre disponibles ; l'objectif est de regrouper les tours de garde actuels.
Le texte stipule que les conseils départementaux ordinaux arrêteront, dans chaque secteur, la liste nominative des médecins « tenus » de participer à la permanence des soins, liste communiquée aux caisses pour le paiement de l'astreinte. Les médecins ont traduit : non seulement l'Ordre a la mainmise totale sur l'organisation des gardes, sur des secteurs plus étendus, mais il n'est pas question de volontariat. L'accord CNAM/MG-France évoquait un dispositif de permanence des soins reposant sur des « médecins libéraux conventionnés volontaires ».
Horaires déments
Le Dr Dinorino Cabrera, président du SML, juge « intolérable qu'en pleine grève des gardes le président de l'Ordre ait signé seul, sans prévenir les membres de son bureau ni les syndicats médicaux, un accord aussi contraignant ». « Cette attitude, ajoute-t-il, à un côté vichyssois. »
Le Dr Abraham Sabbah, secrétaire général du Syndicat des médecins indépendants de France (SMIF), reproche à l'Ordre d'avoir « réinvesti le terrain de la permanence des soins par la pire entrée : alors que le point de départ était l'amélioration des conditions d'exercice des généralistes, on arrive à un résultat inverse ».
Le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) pose à nouveau la question de « l'abrogation » de l'article 77 du code de déontologie, qui prévoit le « devoir pour tout médecin de participer aux services de garde de jour et de nuit » dans le cadre de la permanence des soins (tout en envisageant des cas d'exemption).
Quant au site-forum de la coordination des généralistes, il est devenu en quelques jours un déversoir de propos « anti-Ordre ». « Institution pétainiste », « coup de poignard dans le dos », « méthodes monarchiques », « gardes en pyjama à rayures », peut-on lire, entre autres formules du même acabit. Ces propos choqueront de nombreux généralistes, mais ils témoignent d'une évidente exaspération. Un médecin juge « surprenant » que l'Ordre ait « autant de mépris pour la base fatiguée par des horaires déments et asservie à un système obligatoire de garde qui l'épuise plus encore ». « Ras le bol que des mecs, le cul dans leur fauteuil toute la journée et qui n'ont pas pris de garde depuis trente ans, décident de notre vie », s'emporte un autre. Un certain nombre de médecins appellent à la grève de la cotisation ordinale ou à la suppression d'une institution dont François Mitterrand avait proposé la disparition en 1981.
Dissensions internes
Interrogé, l'Ordre national des médecins, désireux de répondre à ces accusations, s'apprête à s'expliquer dans le détail (1). Mais il lui faudra déployer des trésors de pédagogie car la contestation est également interne à l'institution. Malgré une lettre rassurante adressée aux présidents des conseils départementaux, dans laquelle le président de l'Ordre précisait que le nouveau système serait « testé » pendant trois mois dans les départements volontaires (« le Quotidien » du 6 mars), le Pr Bernard Hoerni n'a pu éviter la fronde d'une partie de la « base » ordinale, qui n'est pas toujours exempte d'arrière-pensées syndicales.
Un comité de coordination des huit conseils départementaux de l'Ordre d'Ile-de-France s'est constitué. Ses membres, « totalement solidaires » des préoccupations des médecins de terrain, « désavouent » le Pr Hoerni, « qui a signé sans mandat de son conseil ni concertation avec l'ensemble des conseils départementaux et régionaux (...) ». Ils exigent une réunion extraordinaire du Conseil national de l'Ordre et refuseront d'appliquer un texte « ne tenant aucun compte des réalités actuelles de l'exercice médical ».
En Mayenne, le conseil départemental « conteste » également la régularité d'un protocole signé « en dehors du fonctionnement régulier de l'institution ordinale ».
Le Dr Pierre Costes, président de MG-France, veut voir l'essentiel : la reconnaissance d'une mission de service public, désormais rémunérée. « Il n'est pas question que l'Ordre fouette les collègues. Si les textes ne sont pas clairs ou adaptés, la concertation est toujours possible. »
(1) « Le Quotidien » publiera demain une interview d'un responsable de l'Ordre national.
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