Décision Santé. Quelle place occupent désormais les collectivités locales dans la gouvernance et la politique de santé à la suite du vote de la loi HPST ?
Manuel Valls. La santé ne relève pas des compétences strictes du maire ou du président d’une agglomération. Pourtant, la responsabilité des collectivités locales, compte tenu de la crise des finances [...] de l’État, ne manquera pas de s’imposer. Les problématiques liées à la prise en charge des soins, les mutations relatives aux mutuelles et aux assurances, les évolutions démographiques du corps médical génèrent des inégalités sociales, notamment dans les quartiers populaires, et suscitent l’interpellation des élus locaux par les habitants. À Évry, à travers les réseaux de soins et le centre de santé, les élus locaux sont de plain-pied dans l’exercice de cette responsabilité. L’éventail est large, depuis le recensement [...] de l’offre de soins, l’évaluation des besoins de santé émergents, (je pense notamment à la problématique de la santé mentale), à l’implantation d’une maison de la santé. La commune joue donc un rôle transversal entre les différents acteurs de santé. Avec pour objectif d’instaurer le dialogue et de répondre ainsi à l’absence de véritable lieu d’échange entre les professionnels de santé sur un même territoire.
D. S. Dans un sondage récent réalisé auprès des internautes de Décision Santé, une écrasante majorité se prononçait contre la présidence automatique du conseil de surveillance d’un hôpital attribuée au maire de la ville. Qu’en pensez-vous ?
M. V. Je n’ai jamais été président du conseil d’administration d’un hôpital. [...] Le fait qu’un élu soit président du conseil d’administration ne me paraît pas essentiel. En revanche, l’existence d’un lien fort entre l’hôpital, son territoire [...] et les projets de santé soutenus par les collectivités locales me paraît nécessaire. Cela se traduit par l’instauration d’un dialogue au sein du conseil de surveillance de l’hôpital. [...] Le projet du nouveau centre hospitalier Sud-francilien n’aurait pu être mené jusqu’à son terme si Serge Dassault, à l’époque maire de Corbeil, n’avait pas été le président du conseil d’administration.
D. S. Quel est votre regard sur la loi HPST ? Au lieu d’accompagner la gouvernance en région, est-elle plutôt en train de provoquer une reconcentration des pouvoirs de l’appareil d’État en matière de santé ?
M. V. La loi HPST présente le risque d’une dérive technocratique, notamment à travers la mise en place des agences régionales de santé (ARS). Qui sont une bonne initiative, mais seulement à condition qu’elles ne soient pas un outil technocratique et aveugle des réalités sanitaires locales. Elles ne doivent surtout pas s’inscrire dans une logique d’étatisation qui exclurait les acteurs territoriaux, et notamment les élus. Pour réformer l'État-providence, répondre à la crise [...] des finances publiques, et rapprocher le citoyen du lieu de décision, le processus de décentralisation [...] doit être poursuivi. Tout ce qui apparaît comme une recentralisation, de l’hôpital ou des collectivités territoriales, est inquiétant. D’autant qu’un tel phénomène ne serait pas le signe d’une restauration de la puissance publique. Car [...] l’État est actuellement exsangue [...] et doit faire des choix. Certes, lorsqu’il s’agit d’opérer des restructurations de services, voire des fermetures d’établissement, seul l’État garant de l’intérêt général peut l’imposer. Mais pour le reste, quel sera demain le rôle de la Région dans le champ de la santé publique ? La région Île-de-France a annoncé un investissement d’un milliard d’euros pour les urgences. [...] À l’image de ce qui a été réalisé dans le domaine de l’éducation, on pourrait envisager un transfert de compétences à la région intégrant la rénovation des bâtiments hospitaliers. On n’échappera pas à cette question. L’État et les collectivités territoriales devraient élaborer un nouveau pacte où seraient redéfinis les compétences, les financements et les ressources des uns et des autres.
D. S. Au cours des vingt dernières années, la gauche ne s’est-elle pas davantage préoccupée des questions de protection sociale (CMU), alors que la droite s’est plutôt investie dans la prise en charge des pathologies (Plan cancer, Alzheimer) ?
M. V. Ce n'est pas faux, mais c’est une vision un peu caricaturale. De manière générale, la gauche privilégie la protection et la sauvegarde des acquis. Ce qui peut l’amener à une forme de conservatisme ! Des actions fortes en faveur de la prévention, ainsi qu’un réel investissement dans l’innovation et dans la recherche biomédicale d’excellence doivent être au cœur du projet de la gauche.
D. S. L’investissement dans le domaine de la santé est-il productif ? Quel retour d’expérience tirez-vous du Genopole® d’Évry ?
M. V. Nous sommes en France très en retard en matière d’investissements dans les biotechnologies. Lancée il y a dix ans, la création du Genopole® a été, à cet égard, un vrai pari. Malgré des débuts difficiles, il est aujourd’hui l’un des premiers bioparcks français. Il représente 224 millions d’euros de levée de fond, 150 millions de chiffres d’affaires portés par 70 entreprises. 681 brevets ont été déposés. Ce qui se traduit par le développement de 24 candidats médicaments. Citons, aussi, bien sûr la création du Centre national de séquençage. Au total, près de 1 000 emplois ont été créés, avec des objectifs de 2 à 3 000 dans les prochaines années, sans oublier le lien avec l’université d’Évry-Val d’Essonne. Ces résultats témoignent de la forte coopération entre le public et le privé, les sciences « dures » et sciences « molles », le CNRS et les sciences du vivant [...] ... Si nous avons atteint à VRI un degré de maturité, nous n’avons pas encore réussi à attirer un grand laboratoire qui permettrait d’asseoir définitivement le Genopole®. Il nous manque également la création d’un véritable campus de vie. C’est le projet auquel nous nous attelons.
* Pouvoir, Manuel Valls, éd. Stock, 2010.
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