RAPPELONS que, en 1994, les articles 22-23 et suivants du nouveau code pénal définissent viol, agression, exhibition sexuelle et prévoient des condamnations plus lourdes. La loi du 17 juin 1998 instaure un suivi sociojudiciaire et crée un nouvel acteur dans le traitement sanitaire des AAS, le médecin coordonnateur ; des aménagements légaux qui tiennent notamment compte de la recherche et des recommandations de l'Artass* (Association pour la recherche et le traitement des auteurs d'agressions sexuelles), présidée par le Dr Claude Balier, psychiatre (Grenoble). Parallèlement, les Spip, services pénitentiaires d'insertion, devenus autonomes, oeuvrent autant en milieu ouvert que fermé.
La loi est une bonne loi, estiment la plupart des spécialistes. Cependant, remarque le Dr Sophie Baron Laforêt (Paris), coprésidente de l'Artass, en France, le suivi social reste défaillant, l'accent a été mis trop longtemps sur le milieu fermé, pas suffisamment sur le milieu ouvert « après sortie de prison » ; à la différence de la tradition anglo-saxonne, travailler ensemble reste un défi. Par ailleurs, le judiciaire aurait tendance à trop demander au médical (tout en s'en méfiant, paraît-il) ; un certificat de suivi d'injonction de soins ne vaut que pour un moment donné. Il faut rendre effectif ce qui a été décidé par la loi.
Révolutionner la coordination.
L'accompagnement est la clé d'une prise en charge optimale. C'est, souligne le Pr Loick Villerbu (institut de criminologie de Rennes), une notion psychosociale transférée au médico-judiciaire qui permet d'améliorer la compréhension de la notion de soin, lequel n'est pas une transformation magique de la réalité. Il crée un cadre relationnel à la fois social, judiciaire, médical et psychologique, assurant veille, suivi vigilant effectif (pas de façon «libérale»), éducation avec une évaluation longitudinale de l'efficience et efficacité. Il faut une révolution de la coordination.
Le soin en prison doit permettre l'articulation des différents soignants, souligne le Dr Michel David, psychiatre, Smpr (Guadeloupe), et des travailleurs sociaux afin de préparer la sortie. L'importance du milieu dans lequel va se retrouver le sujet est soulignée. A noter que le psychiatre sait pourquoi le sujet est incarcéré ; la circulation de l'information utile devrait facilement s'effectuer et, en Suisse, cela va de soi : psychiatres et « somaticiens » sont dans un même service supervisé par le psychiatre.
Le point aveugle de la loi.
Les autorités de santé ont créé les « centres ressources » (6 actuellement) interrégionaux pour l'aide à la prise en charge des AAS. Cependant, les psychiatres, habitués à traiter psychotiques, addictions, etc., considèrent parfois que les AAS ne sont pas, ou rarement (statistiques à l'appui), des malades mentaux au sens nosologique du terme. C'est le point aveugle de la loi, estime le Dr Roland Coutanceau (psychiatre, expert près des tribunaux). Les psychiatres estiment que la prévention de la récidive n'est pas leur mission, non qu'ils ne veulent pas s'en occuper mais parce qu'ils se situent davantage dans une perspective de construction avec le sujet d'un projet différent de la transgression sexuelle, tient à souligner le Dr Baron Laforêt. Cela est particulièrement important pour les AAS encore adolescents.
Le partenariat soin-justice doit se renouveler. Il faut faire évoluer les pratiques en élargissant la notion de soin, pas nécessairement dispensé par un personnel de santé, il ne faut pas se focaliser sur un modèle purement médical comme le traitement hormonal, qui peut être intéressant dans les bonnes indications (actuellement avec le consentement obligatoire du sujet) mais ne dispense pas d'un rigoureux suivi criminologique.
La situation évolue. Ainsi Claude d'Harcourt, directeur de l'administration pénitentiaire, souligne que les groupes de parole créés en milieu carcéral devraient se multiplier. Il remarque qu'au Canada les approches cognitivo-comportementales sont associées à une réduction de moitié du taux de récidives. Des éducateurs spécialisés, des psychologues acceptant de prendre la casquette justice peuvent oeuvrer en milieu pénitentiaire avec les travailleurs sociaux.
D'homme à homme.
«La dangerosité est la patate chaude de la criminologie», déplore le Dr Coutanceau. Pour tenter de l'appréhender, deux attitudes théoriques sont possibles :
– utilisation d'échelles actuarielles quantitatives donnant au mieux une réponse probabiliste sur un risque de faible à fort de récidive (exemple pédophile exclusif, agression sur enfant hors du milieu familial, voire inconnu : fort risque ; inceste « judiciarisé » : faible) ; ce qui ne tient pas compte de l'évolution du sujet ;
– échelles plus qualitatives tenant compte de la dangerosité avant un travail de groupe et après.
Les échelles ne seraient pas « la tasse de thé »…
Selon le Dr Coutanceau, à distance des débats philosophiques et éthiques, seule la pratique de terrain offre une solution concrète, au cas par cas, dans un dialogue «d'homme à homme» pour proposer des solutions, en fonction de ce que l'on connaît du risque de récidive, avec tous les outils disponibles selon les indications et l'attitude du sujet vis-à-vis de ces solutions.
Le CNO (Centre national d'observation) des longues peines a constitué un dossier d'évaluation psychiatrique, psychologique, éducatif, psychotechnique, qui peut être un outil pénitentiaire intéressant avec mise en place d'une évaluation longitudinale.
* contact@artaas.org, www.artaas.org, tél. 06.10.04.69.83.
Bracelet électronique pour un pédophile en fin de peine

Un pédophile jugé dangereux, qui doit sortir de prison lundi à Caen après avoir purgé la totalité de sa peine, va être doté pour la première fois en France d'un bracelet électronique, qu'il portera pour un maximum de quatre ans. Martial Leconte, 42 ans, a donné son accord pour porter à la cheville ce bracelet qui permettra de le localiser par GPS dans tous ses déplacements.
La libération de ce détenu avait été reportée de trente jours fin août en raison de témoignages comparant sa dangerosité à celle d'un autre pédophile récidiviste, Francis Evrard, mis en examen pour l'enlèvement et le viol du petit Enis, 5 ans.
La décision de placement sous surveillance électronique mobile (Psem) a été prise par le juge de l'application des peines pour une période de deux ans renouvelable une fois, le maximum prévu par la loi. Ce dispositif s'ajoute aux autres mesures de surveillance judiciaire que Martial Leconte devra respecter, telles que des obligations de suivi médical, de recherche d'emploi et d'accompagnement social.
Elles aussi...
Pour les psychologues en milieu pénitentiaire, comme P. Genuit (Rennes), c'est un «bouleversement épistémologique». La femme se retrouve là où on ne l'attendait pas, souligne L. Villerbu. Le nombre de femmes incarcérées pour agression sexuelle ne cesse de croître ; à Rennes, par exemple, elles représentent le quart de la population féminine carcérale (naguère 3 à 5 %). Conditions environnementales favorisant davantage le passage à l'acte, dénonciation plus fréquente ? Difficile à dire. Le plus souvent il s'agit d'agression intrafamiliale (inceste mère-fille) ou institutionnelle sur des enfants.
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