L A pénurie de médecins remplaçants empoisonne les généralistes qui souhaitent lâcher le stéthoscope pour partir en vacances. Le problème est particulièrement aigu pour les praticiens isolés qui exercent dans les zones rurales, et plus encore s'ils sont installés au nord de la Loire.
« Les étudiants sont rebutés devant les horaires quotidiens trop chargés et les fréquences de garde », explique le Dr Patrick Drevet, qui exerce dans le Cher. A cela s'ajoutent des problèmes pratiques : « Dans certaines zones du département, la couverture n'est pas assurée par les téléphones portables. Pour les remplaçants qui n'ont pas de secrétariat (d'ordinaire effectué par le conjoint du médecin ou une personne en congé à ce moment-là), c'est un souci évident », témoigne-t-il.
La capitale elle-même n'est pas épargnée, malgré le pouvoir d'attraction qu'elle exerce sur les étudiants. « Il ne se passe pas une journée sans que les médecins remplacés et les remplaçants ne nous interpellent à ce sujet, les premiers pour se plaindre de ne pouvoir se faire remplacer, les seconds de ne pouvoir renouveler leur licence de remplacement autant qu'ils le souhaiteraient », explique le Dr Gérard Zeiger, président du conseil de l'Ordre des médecins de Paris, dans son dernier bulletin. Le Dr Zeiger, qui demande un assouplissement de la loi, fait allusion à un décret de 1994 qui stipule que les étudiants en médecine ne peuvent pas effectuer de remplacement au-delà de la troisième année à compter de l'expiration de la durée normale de formation prévue pour obtenir le diplôme de troisième cycle.
Exigences dissuasives
Les causes de la pénurie sont parfaitement connues : elle s'explique par le fait qu'il existe beaucoup moins de médecins en âge de remplacer que de demandeurs. D'un côté, il y a près de 60 000 généralistes. De l'autre, 4 100 médecins sont formés chaque année, dont la moitié seulement se tourne vers la médecine générale.
« Outre ce problème de démographie, se pose celui des exigences des remplaçants, qui sont de plus en plus dissuasives, estime le Dr Michel Chassang, président de l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), selon lequel les honoraires étaient jusqu'à présent répartis à égalité entre le remplaçant et le remplacé. Aujourd'hui, la norme est plutôt de 75 % des honoraires pour le remplaçant, le reste pour le remplacé. Mais il n'est pas rare que le remplaçant exige 100 % des honoraires, ce que confirme Alexander Grimaud, président de l'Inter syndicale nationale autonome des résidents (ISNAR) : il précise que le montant revenant aux remplaçants n'a jamais été inférieur à 60 %. Selon l'UNOF, il arrive même que le médecin remplacé doive payer les charges au cours du remplacement, ce qui signifie que le coût s'élève pour lui à 120 % des honoraires.
Résultat : nombreux sont les médecins qui renoncent à trouver un remplaçant. « Je n'ai plus les moyens de le faire, confie pour sa part le Dr Chassang. Je m'arrange avec un confrère qui reçoit mes patients quand ils ne peuvent attendre mon retour et j'en fais autant quand il prend ses vacances ». Les médecins sont obligés de morceler leurs vacances, voire d'y renoncer.
Recours aux retraités ?
En attendant les effets de la remontée du numerus clausus, qui permettront de disposer d'effectifs importants de jeunes médecins, plusieurs voix se sont élevées pour proposer que les médecins retraités puissent effectuer des remplacements. Cette idée a été relancée en mars dernier par le Dr Gérard Maudrux, président de la Caisse de retraite des médecins de France (CARMF), qui a proposé la création d'un système de « chèques-emploi médecin » pour rémunérer ces retraités volontaires. Ce système, calqué sur celui du « chèque-emploi service », permettrait d'alléger les cotisations retraite et les charges des médecins.
Sans entrer dans les détails, l'UNOF demande au gouvernement d'abroger le décret d'août 1949, toujours en vigueur à ce jour (même si une dérogation avait été accordée jusqu'en 1990), qui subordonne le bénéfice de la retraite à la cessation de toute activité médicale libérale et interdit donc aux retraités d'effectuer des remplacements. L'UNOF demande au gouvernement d'abroger ce décret pour que les médecins retraités puissent, s'ils le souhaitent, remplacer leurs jeunes confrères en activité. « Cette solution aurait un double avantage : faciliter les remplacements des médecins en activité et garantir une continuité des soins harmonieuse sur l'ensemble du territoire français », estime le Dr Chassang. Pour les retraités qui le souhaitent, cette possibilité permettrait de compléter leur allocation, « relativement modeste » selon le syndicat (15 240 F en moyenne en 2000). Cette solution laisse les résidents plus que sceptiques. « L'Observatoire national de la démographie médicale que tout le monde réclame permettra de régler le problème sur le fond. A court terme, on ne peut malheureusement pas faire grand-chose », juge Alexander Grimaud, président de l'ISNAR, qui ne comprend pas que les pouvoirs publics n'aient pas anticipé, alors que cette pénurie était parfaitement prévisible il y a vingt ans. Pour l'heure, il est convaincu que la solution réside dans les modes d'exercices médicaux, qui doivent reposer sur un comportement collectif. « La médecine de groupe est à même de résoudre la question du remplacement », conclut-il.
Licence de remplacement : du temporaire qui dure depuis trois ans
Jusqu'en novembre prochain, l'obtention de la licence de remplacement en médecine générale est conditionnée, pour les étudiants de troisième cycle, par des mesures temporaires en vigueur depuis... mars 1998.
Ces dispositions permettent aux futurs généralistes de remplacer des confrères installés en ville après n'avoir validé que trois stages hospitaliers de troisième cycle et sans attendre d'avoir effectué leur stage pratique en cabinet.
Remanié en janvier 2000, le dispositif transitoire n'autorise plus,en revanche, les internes de spécialité ayant à leur actif deux semestres dans un service agréé en médecine générale à remplacer un omnipraticien.
A l'origine, c'est l'instauration du stage de six mois chez le généraliste qui a brouillé les cartes du remplacement. Les textes initiaux repoussent en effet les possibilités de remplacement à la fin de cette expérience pratique. La formule prive les généralistes demandeurs d'autant de candidats à l'interim qu'il y a d'étudiants en troisième cycle. Elle embarrasse aussi ces mêmes étudiants qui, ayant parfois du mal à trouver un stage chez le praticien, n'ont pas la possibilité de remplacer, alors qu'ils ont déjà validé leurs quatre semestres hospitaliers. C'est pourtant ce dispositif qui doit reprendre ses droits à partir de novembre. Une perspective que le Dr Olivier Gattoliat, président du SNJMG (Syndicat national des jeunes médecins généralistes), ne voit pas d'un très bon il : « Tant que les facultés n'auront pas réglé le problème du stage chez le praticien, il n'y aura pas de solution. »
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