Faire partager une culture commune à l'ensemble des métiers de la santé, permettre, en cours d'année, le choix de sa filière professionnelle, tels sont les objectifs de la réforme de la première année commune des études de santé.
D'une façon générale, professionnels, enseignants et étudiants approuvent l'objectif visé. Mais tous s'accordent également à dire que, pour passer du papier à la pratique, nombre d'obstacles devront être surmontés, et pas des moindres.
Programmes à repenser, personnels à former, budgets à recalculer - sans parler des problèmes de logistique qui vont inévitablement se poser -, il n'est pas simple de mettre au diapason plusieurs dizaines de milliers d'étudiants pendant une année complète.
Motiver les enseignants
« C'est un énorme chantier pédagogique, qui demandera une mobilisation formidable, concède le Pr Philippe Lauret, conseiller des études médicales au ministère de l'Education nationale. Pour le réaliser, on est obligé de tout mettre à plat. Il faut développer de nouveaux moyens d'apprendre et d'encadrer une telle masse d'étudiants. Il faut motiver les enseignants, les former à élaborer de vrais programmes pédagogiques et à trouver de nouveaux modes d'évaluation. Il faut également que les doyens s'engagent à fond dans cette réforme. »
Au vu de toutes ces difficultés, on imagine mal une mise en uvre dès la rentrée universitaire prochaine, comme l'avaient laissé entrevoir les ministres de l'Education nationale et de la Santé, Jack Lang et Bernard Kouchner, lors de la présentation de la réforme le 11 avril dernier.
Plus réaliste, Philippe Lauret pense que cela se fera progressivement, profession par profession, sans doute sur plusieurs années.
Bien au-delà des questions pédagogiques, la réforme soulève d'autres interrogations, plus terre à terre, cette fois. Les instituts privés qui dispensent des formations payantes pour préparer les bacheliers aux concours paramédicaux redoutent que la réforme sonne le glas de leurs classes préparatoires et, donc, de leur financement.
En effet, il est prévu que, pour toutes les filières, la sélection des étudiants se fasse non plus au début mais à la fin de la première année ; les bacheliers seront peut-être tentés de s'inscrire directement en première année de fac pour tenter leur chance au plus vite, sans perdre une année de plus.
Jacques-Alain Lachant, qui dirige l'IGPEM, un institut parisien de classes préparatoires paramédicales, est « furieux de ne pas avoir été consulté sur la réforme ». Tout en admettant que « sur le fond l'idée est bonne », il s'empresse d'ajouter qu'il s'inquiète de l'avenir de ses soixante salariés. « Il faut impérativement garantir les emplois, dit-il. Pour l'instant, j'ai le sentiment que le public fait ce qu'il veut et que le privé ramasse les miettes. »
L'inquiétude des écoles privées
Bernard Belloc, vice-président de la CPU et président de la commission pédagogique nationale créée le 11 avril pour émettre des propositions sur la réforme, n'a que faire de ces tracasseries. « On n'a pas à se soucier des formations privées qui font leurs affaires sur le dos du service public, déclare-t-il. Ce qu'il faut bien voir, c'est qu'il en va de l'avenir du système de santé français. »
Les formations complémentaires privées ne sont pas seules à se soucier de l'avenir de leur financement. Les écoles paramédicales privées, elles aussi, sont concernées, et ce pour trois raisons. La première année commune, qui aura un statut universitaire, sera a priori gratuite, de même que le concours de fin d'année. En outre, nombreuses sont ces écoles à posséder leur propre année préparatoire intégrée, payante (surtout en kinésithérapie). Un troisième manque à gagner de taille : que les classes préparatoires ne parviennent pas à trouver leur place dans ce nouveau système.
La question du redoublement
Sur le plan de l'enseignement à proprement parler, la réforme sème également le doute parmi les dirigeants d'école et de classe préparatoire. « Si le profil de chaque concours paramédical est conservé, la réforme relève de la mission impossible, assure-t-on à l'IGPEM , car certains sélectionnent les étudiants sur le français et les tests psychotechniques, comme l'ergothérapie, tandis que d'autres sélectionnent sur la biologie, la chimie et la physique, comme la kinésithérapie. Du coup, on voit mal comment ajouter à ces matières le fameux tronc commun "culture de santé". »
Côté associations d'étudiants, les réunions et les concertations ont eu beau se multiplier après la conférence de presse des ministres de l'Education nationale et de la Santé, incertitudes et interrogations persistent. Comment se concrétisera la passerelle à bac +3 proposée par Jack Lang ? La première année commune remplacera-t-elle l'actuelle première année de chaque filière (et, dans ce cas, comment maintenir les stages obligatoires ?) ou viendra-t-elle s'ajouter au cursus ? Son redoublement sera-t-il vraiment interdit ?
Pour Philippe Lauret, « tout le malentendu actuel vient de ce que, jusqu'à présent, seules des pistes ont été lancées, mais rien n'a été arrêté. Toutes ces questions n'ont pas encore de solution définitive ; ce sera à la commission pédagogique d'y répondre dans les mois et les années qui viennent ».
Benoît Elleboode, vice-président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), juge utile de consacrer la première réunion de la commission, qui doit se tenir à la mi-mai, aux quatre questions suivantes. « Il nous faudra définir les filières qui entrent dans le cadre de la réforme ; choisir la seconde chance à proposer aux étudiants, parmi les quatre solutions suivantes : le redoublement, la seconde session en septembre, la passerelle un an après le concours, ou la passerelle en fin de cursus. Nous devrons également trouver des passerelles et des équivalences permettant des réorientations à tous les niveaux du cursus ; et enfin, quatrième point, il faut définir la part du tronc commun par rapport à l'enseignement spécifique de chaque filière. »
L'ANEMF semble admettre en fait, comme hypothèse de travail, la suppression du redoublement à l'issue de la première année commune, à condition toutefois que les étudiants aient une seconde chance un an après, et non pas trois ans, comme le propose le texte initial de la réforme.
C'est seulement après cette indispensable réflexion de base sur ce sujet délicat avec les doyens et les enseignants que pourront être abordées les questions relatives au statut de chaque formation, au contenu du programme, et aux moyens humains, financiers et immobiliers à développer. Des sous-commissions pédagogiques seront créées à cet effet.
La réforme va-t-elle allonger les cursus ?
En ce qui concerne les filières médecine, chirurgie dentaire et pharmacie, il n'y a, a priori, aucune raison que la future première année commune des études de santé s'ajoute au cursus universitaire déjà fort long (c'est du moins le voeu de Jack Lang et de Bernard Kouchner). Conçue sur le même modèle (avec un numerus clausus et un concours en fin d'année), elle remplacera les PCEM1 et la première année de pharmacie actuelles.
Pour le paramédical, en revanche, la question n'est pas tranchée. Ce sera à la commission pédagogique d'en décider, filière par filière. Etudiants et enseignants, dans leur majorité, préféreraient que cette future première année commune s'ajoute aux cursus en cours. A une exception près toutefois : les infirmières, qui ne veulent pas allonger la durée de leurs études. Amélie Haupais, de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI), explique qu' « à l'heure actuelle, les étudiants infirmiers finissent avec un bac + 2 après trois ans et demi de formation. Donc, à moins d'obtenir directement un statut de bac + 4, nous nous opposons à suivre une année supplémentaire qui ne nous valorisera pas plus auprès des médecins. »
Pour les sages-femmes et les kinésithérapeutes, la réforme est d'autant mieux acceptée que, déjà, certaines écoles recrutent après passage en PCEM1 (c'est le cas pour 16 écoles de sages-femmes sur 36 depuis septembre 2001, et pour près de la moitié des instituts de kiné). « La première année commune doit se rajouter à nos quatre ans d'enseignement, comme le fait le PCEM1 actuellement, explique Aurélie Michon, de l'Association nationale des élèves sages-femmes (ANESF). Nos cours et nos stages sont incompressibles, impossible d'en enlever une partie. »
La Fédération nationale des étudiants en orthophonie (FNEO) et la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie et en ergothérapie (FNEKE) sont également favorables à un allongement de la durée de leurs études d'un an, ce qui permettra de dégager du temps en fin de cursus pour de nouveaux stages et de nouveaux cours théoriques.
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