C'est au beau milieu du week-end pascal qu'est tombée la nouvelle : au « Journal officiel » du samedi 19 avril est paru un arrêté « modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux ». Et cette liste en est longue : 616 médicaments dont le taux de remboursement passe de 65 % à 35 %, et dont certains sont très prescrits, comme le Voltarène, le Zyrtec, le Vogalène, le Primpéran ou encore le Zovirax, mais considérés par les pouvoirs publics comme ayant un service médical rendu (SMR) moyen ou modéré.
Concrètement, cela veut dire qu'un assuré social ne sera plus remboursé par le régime obligatoire de la Sécurité sociale qu'à concurrence de 35 % de la valeur de ces 616 médicaments, à charge pour sa mutuelle, s'il cotise auprès d'une d'entre elles, de lui rembourser la différence.
Le gouvernement, en l'occurrence, s'est appuyé sur le décret Aubry, concernant le remboursement des médicaments et qui permet aux autorités de fixer la participation de l'assuré à « 65 % pour les médicaments principalement destinés au traitement des troubles ou affections sans caractère habituel de gravité, et pour les médicaments dont le SMR (...) n'a pas été classé comme majeur ou important ». Ce serait d'ailleurs la première fois depuis sa promulgation que ce décret Aubry serait utilisé pour modifier le taux de remboursement des médicaments.
Une mesure en préparation depuis janvier
Au ministère de la Santé, on affirme qu'il n'a jamais été question de profiter du week-end de Pâques pour faire passer la mesure, mais que le ministre souhaitait « que les choses aillent le plus vite possible ». D'autre sources indiquent également que Jean-François Mattei tenait à faire un geste significatif au moment où l'on apprend que les dépenses de médecine de ville ont augmenté de près de 8 % en un an, et surtout, avant la réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale qui doit se tenir à la mi-mai, et devra se pencher sur un trou des comptes dont certains prévoient déjà qu'il sera abyssal. Quoi qu'il en soit, et toujours selon le ministère de la Santé, c'est dès le mois de janvier que les laboratoires concernés par la mesure ont été informés de la volonté du gouvernement de baisser le taux de remboursement de certains de leurs médicaments. Plusieurs industriels ayant déposé une demande de délai pour réexamen, les choses ont un peu traîné jusqu'au 2 avril, délai nécessaire pour que tous les médicaments listés passent en commission de la transparence (1).
Le 18 avril, l'arrêté ministériel était rédigé, et le 19, il était publié au « Journal officiel ». Au départ, la mesure devait concerner 710 médicaments, mais après passage devant la commission, 94 d'entre eux ont vu leur SMR modifié, ce qui leur a permis d'échapper à la baisse du taux de remboursement. Si l'on peut donc donner acte au gouvernement du fait qu'il n'a pas volontairement fait passer la mesure dans le « Journal officiel » du week-end de Pâques, force est de constater qu'il n'a rien fait pour annoncer la nouvelle à l'avance, et que tout s'est fait dans une discrétion totale.
Soulager la Sécu
Il s'agit donc bien d'une décision à caractère purement économique, destinée à décharger la Sécurité sociale d'une part de son fardeau. Au ministère de la Santé, on chiffre les économies potentielles pour la Sécu à 400 millions d'euros en année pleine, mais on prend bien soin de préciser qu'il s'agit là d'une première estimation et non d'un chiffre définitif. Mais d'autres ont été aussi rapides à sortir leur calculette : à la CNAM, une première estimation chiffre l'économie potentielle à environ 300 millions d'euros, un chiffre repris par la Mutualité française mais jugé un peu optimiste par l'industrie pharmaceutique, qui situe pour sa part l'économie potentielle dans une fourchette de 200 à 300 millions d'euros. Enfin, un économiste, spécialiste des comptes de la Sécurité sociale, estime que les économies pourraient aller jusqu'à 500 millions d'euros.
Deux cents millions d'un côté, 500 millions de l'autre, le montant de ces économies pourrait bien correspondre peu ou prou à l'économie potentielle totale réalisable grâce aux médicaments génériques. Mais le bonheur des uns fait le malheur des autres, et comme ces centaines de millions d'euros économisés par les caisses ne vont pas s'évanouir dans la nature, cela signifie tout simplement que la facture va changer de destinataire. Première à se sentir visée, la Mutualité française, qui n'a pas tardé à réagir par la voie de son président Jean-Pierre Davant : « Cette baisse des taux de remboursements va augmenter les dépenses de santé des Français, a-t-il expliqué , et les 300 millions d'euros d'économies pour la Sécurité sociale vont être refinancés par les Français soit par leur mutuelle, soit directement chez le pharmacien. »
Et de fait, 36 millions de Français ont une mutuelle complémentaire faisant partie de la Mutualité française. C'est donc cette institution qui devra supporter la plus grande partie de ce transfert de charge, avec en perspective à court terme la quasi-certitude d'une augmentation sensible des cotisations. Et Jean-Pierre Davant d'ajouter que « demain, nos concitoyens qui se verront prescrire des anti-inflammatoires ou des anti-allergiques, qui ont des revenus insuffisants pour avoir une mutuelle, mais trop importants pour bénéficier de la CMU, vont avoir des difficultés d'accès aux soins et devront renoncer à des médicaments utiles à leur santé. Nous ne sommes pas dans le registre des médicaments inutiles, nous sommes dans le noyau dur de la pharmacopée française, c'est-à-dire les médicaments les plus prescrits par nos médecins généralistes ».
De son côté, la CSMF estime que, « la solution n'est pas de moins rembourser les médicaments ; s'il est utile, un médicament doit être remboursé. Le gouvernement doit avoir le courage de dérembourser des médicaments, d'en délaisser quelques-uns pour mieux prendre en charge les médicaments indispensables ».
Au LEEM, on « ne salue pas, bien sûr, cette mesure mais on ne s'insurge pas non plus » ; on espère simplement que « les économies sur le médicament, qu'elles concernent ces produits ou les génériques, serviront à rémunérer comme il se doit, les innovations ».
Enfin, aux Laboratoires internationaux de recherche (LIR), association qui regroupe les principales multinationales, « on ne comprend pas du tout à quoi joue le gouvernement avec ces demi-mesures ; chez nous, on plaide pour de vraies réformes et nous comprenons fort bien la colère de la Mutualité française ».
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