DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À SAN FRANCISCO
« SCANDALE DES PROTHÈSES », bis repetita. On a rangé, en France, sous ce libellé des pratiques perverses d'incitation des chirurgiens ( via des commissions) à privilégier l'utilisation de certains implants.
De ce côté-ci de l'Atlantique, les organisations professionnelles, en collaboration avec les instances ministérielles, le Conseil de l'Ordre et l'assurance-maladie, sont parvenues à assainir une situation délicate, qui n'était pas loin de s'apparenter à de la corruption active.
Aux Etats-Unis, la mésaventure française fait aujourd'hui des petits. Si le feu y couve depuis près de trois ans, il a suscité ces dernières semaines un déchaînement médiatique sans précédent, mettant en cause les industriels et certaines « stars » de la chirurgie orthopédique. Le « scandale » fait suite à la convocation par des juges d'instruction de tous les éventuels protagonistes ou témoins de faits que le département de la Justice américaine considère comme des infractions pénales – aux Etats-Unis, sont en vrac considérés comme des délits ou des crimes le conflit d'intérêt (ou prise illégale d'intérêt), l'emploi fictif, la publicité mensongère ou encore l'allégation mensongère de la supériorité d'un matériel par rapport à un autre, l'information mensongère au patient, l'emploi fictif…
Autant d'ingrédients délictueux susceptibles de se retrouver au sein de la pratique chirurgicale orthopédique, lorsqu'un chirurgien est incité par un industriel (par le biais de cadeaux ou d'une rémunération) à utiliser une prothèse A plutôt qu'une prothèse B. Le département de la Justice a des moyens fort persuasifs d'exposer toutes ces dérives dissimulées : tous les protagonistes, proches ou lointains du dossier, peuvent être mis en examen, voire incarcérés.
Du côté de l'industrie, le filet va du P-DG jusqu'à sa secrétaire si elle refuse de collaborer avec la justice ; côté chirurgiens, eux-mêmes ou leur entourage direct peuvent faire l'objet d'enquêtes dérangeantes.
Les rouages de la version US.
Le schéma nord-américain du « scandale » suit un scénario variable. Certains gros poseurs d'implants se voient verser des « royalties » en tant qu'inventeurs d'une innovation évolutive imaginaire : il s'agit alors de versements d'émoluments d'un emploi qualifiable de « fictif ». Ailleurs, les chirurgiens se voient proposer du tourisme luxueux « d'enseignement » qui sert de promotion à un modèle prothétique donné et s'intègre, bon gré mal gré, dans le chapitre du conflit d'intérêt. Ailleurs encore, des patients atteints d'une maladie d'évolution indéterminée, à qui l'on vient proposer une technologie ultracoûteuse d'efficacité thérapeutique plus que douteuse, sont recrutés par des chirurgiens (rémunérés pour cela) : cette démarche tombe sous le coup à la fois de l'information mensongère et éventuellement de l'abus de biens publics si l'organisme payeur du traitement douteux est la caisse d'assurance d'Etat Medicare.
Le contre-feu de l'Académie.
Sous l'oeil attentif des médias, ces affaires ont quelque peu terni l'image prestigieuse de la spécialité chirurgicale dans son ensemble. A tel point que l'American Academy of Orthopedic Surgeons (leader mondial incontesté d'opinion avec, dans ses rangs, une vingtaine de milliers de membres) est montée au créneaupour rétablir l'honneur de la profession et surtout tenter de regagner la confiance du public. L'Académie a dans un premier temps édité un code éthique d'une centaine de pages distribué à tous ses membres. Elle vient également d'organiser dans le cadre de son 75e congrès annuel un symposium auquel ont assisté plusieurs centaines de chirurgiens. Selon l'adage très prisé outre-Atlantique qui veut que faute avouée soit «à moitié pardonnée», le leitmotiv du débat a été l'obligation d'une transparence absolue quant à l'existence d'une éventuelle relation entre tout chirurgien et l'industrie (dès l'ouverture du symposium, une diapositive a été projetée déroulant une liste de plus d'une trentaine de chirurgiens ayant dépassé le seuil du… million de dollars de rémunération par l'industrie). L'Académie a formulé une série de recommandations visant à instaurer un code de conduite éthique professionnelle exemplaire. Il s'agit d'un recueil de «dix-sept commandements» dont la transgression est déjà passible, au sein de l'Académie, de sanctions disciplinaires sévères. Deux principes de base pour cette charte : sacraliser l'intérêt des patients et fixer des limites à «l'intéressement» des chirurgiens dans la promotion des produits de l'industrie. L'Académie a également tenté de faire valoir, auprès de l'opinion, des circonstances atténuantes liées à l'érosion de revenus des chirurgiens par le plafonnement des remboursements d'assurance-maladie. Ces revenus restent aux Etats-Unis entre cinq et dix fois supérieurs à ceux que perçoivent les chirurgiens français…
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