Le Temps de la médecine :
La mort en face
Chacun a pu constater ce qu'il en coûtait de dénier : rejets des mourants, voire deuil anticipé des grands malades, deuils qui n'en finissent pas, deuils pathologiques, etc. La modernité nous a privés de rites mais a également changé l'occurrence de la mort : plus de 80 % des décès ont lieu après 60 ans et 50 % après 80 ans. Comme l'explique Marie-Frédérique Bacqué, vice-présidente de la Société de thanatologie, dans son récent ouvrage « Apprivoiser la mort », ce déplacement de l'âge des morts rend plus rare la mort du jeune et a fortiori de l'enfant ; ce qui peut encore accentuer l'état de choc de la famille dans cette situation.
Parallèlement, dans les années à venir, du fait de l'espérance de vie supérieure des femmes, celles-ci connaîtront beaucoup plus la mort et le deuil. Or la surmortalité dans les années après la perte du conjoint est indiscutable. Cette psychologue nous propose une fois de plus une analyse subtile de ce que représente socialement et individuellement la mort dans notre société moderne et de la façon dont ces modifications profondes ont transformé le deuil et engendré des pathologies. Elle souligne la vocation des représentations collectives de la mort à favoriser le travail de deuil individuel et la nécessité de parler de la mort dans le but de « poser un repérage sur cet irreprésentable », de limiter la sidération et les conséquences de ce traumatisme pour les proches.
De nouvelles façons d'accompagner la mort
De fait, depuis quelques années, nombreuses sont les tentatives de lever ce tabou de la mort, « d'apprendre à mourir pour mieux vivre », de la création de nouveaux rites funéraires à la mise en place de réseaux de soutien et de partage en passant par le développement des groupes de parole et la création d'associations d'endeuillées. Notre culture cherche des réponses adaptées à la modernité pour faire face à ces épreuves de moins en moins vécues comme des événements communautaires et davantage comme des événements limités à la vie privée. Depuis deux décennies environ, de nouvelles approches de l'accompagnement de la fin de la vie ont ainsi vu le jour. Elles participent largement à cette réhumanisation de la mort et favorisent l'élaboration du deuil.
En témoigne l'expérience de Marie-Sylvie Richard, médecin de soins palliatifs (établissement Jeanne-Garnier, Paris). Son récit « Soigner la relation en fin de vie » montre avec une grande finesse et beaucoup d'émotion la complexité des relations entre un mourant, ses proches et les soignants, la nécessité d'encourager l'accueil de la famille à l'hôpital, d'avoir les moyens de réinventer pour chaque patient de nouvelles modalités d'accompagnement et l'importance de cette qualité de la relation de fin de vie dans la prévention des deuils pathologiques. A travers de nombreux exemples de fin de vie, l'auteur insiste une fois de plus sur les dangers de l'euthanasie et sur la possibilité de redonner un sens à la vie malgré la mort très prochaine grâce à la qualité de l'accompagnement. Réhumaniser la mort exige des soignants de créer des liens, des relations de qualité capables de rompre l'isolement. Cette tâche est d'autant plus ardue que « la confrontation quotidienne de la maladie et de la mort de l'autre nous éprouve parce qu'elle nous rappelle, avec violence parfois, la possibilité de notre propre mort, sans pour autant nous en donner une quelconque connaissance », dit Marie-Sylvie Richard.
« Apprivoiser la mort », Marie-Frédérique Bacqué, Editions Odile Jacob, 283 pages, 23 euros. « Soigner la relation en fin de vie, Familles, malades, soignants », Marie-Sylvie Richard, Editions Dunod , 170 pages, 22 euros.
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