De notre envoyé spécial
à Toulouse
Invités à s'exprimer, pour le premier en ouverture, pour le deuxième en clôture du congrès de la Mutualité française à Toulouse, Jacques Chirac et Jean-François Mattei ont, en termes similaires, affiché leur impatience courroucée face au retard dans la mise en place des instruments de la maîtrise médicalisée des dépenses, exhortant les partenaires à accélérer le pas.
Le même message a été transmis : il est grand temps de généraliser les outils qui permettront d'éviter les gaspillages ou le nomadisme médical, de garantir l'utilité et surtout la qualité des soins, des pratiques et des techniques médicales. Pour le chef de l'Etat, « nous ne pouvons plus nous satisfaire d'une situation dans laquelle, plusieurs années après leur conception, ces outils (de maîtrise médicalisée) ne sont toujours pas entièrement en place ». Et de citer la FMC, les références médicales et l'évaluation des pratiques, qui devront être mises en place « au plus tard au terme des douze mois à venir ». Deux jours plus tard, Jean-François Mattei a enfoncé le clou en affirmant, à propos de la régulation, que « notre pays est à l'heure des choix ». « Nous connaissons ces outils, a martelé le ministre : formation continue, guides de bonne pratique, accord de bon usage (des soins) , échanges entre pairs... C'est agir qu'il nous faut. » Jean-François Mattei a même souhaité que le dossier médical partagé soit opérationnel « dès le début de l'année prochaine », au moins à titre expérimental.
La Mutualité française est allée encore plus loin. Afin de « dépenser mieux chaque euro », elle a retenu, parmi les 25 mesures proposées (encadré), l'instauration d'une « recertification périodique des professionnels de santé », l'obligation de FMC et la création dans les douze mois du dossier médical unique informatisé.
« Aveu d'impuissance »
Si ces injonctions à se retrousser les manches sont pavées de bonnes intentions, elles contrastent à l'évidence avec la dégradation du partenariat conventionnel depuis quelques mois et l'exaspération d'une grande partie de la profession médicale. Un partenariat qui aurait dû précisément constituer un des piliers de cette « optimisation médicalisée des dépenses », grâce à la généralisation d'accords de bon usage des soins (AcBUS). Ambition qui a fait long feu. Après le fiasco conventionnel et alors que des centaines de spécialistes, exaspérés, ont décidé de se déconventionner dans un mouvement de rébellion inédit, l'appel des pouvoirs publics à mettre en place sans tarder une régulation efficace paraît décalé. Pour Claude Pigement, qui représentait le Parti socialiste au congrès de la Mutualité, il y a un « aveu d'impuissance » dans ces déclarations officielles « alors même qu'il n'y a plus de convention médicale ».
Du côté des syndicats médicaux, on accuse la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) d'avoir fait échouer le processus qui aurait dû conduire à cette régulation intelligente, dont ils partagent la philosophie. « La maîtrise médicalisée, on n'y coupera pas, tranche le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). Moi aussi, j'en ai assez qu'il ne se passe rien : malgré des mois de discussions, la caisse s'est montrée incapable d'élaborer des Acbus (Accords de bon usage des soins), alors qu'en 1993 la mise en place des RMO avait été possible en quelques mois. » La CNAM ayant prouvé son « incapacité », le SML est disposé à « discuter directement avec l'ANAES » (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) pour avancer dans la mise en place de ces accords. En revanche, l'installation du dossier médical informatisé prendra, selon le président du SML, « trois à cinq ans ». Pour le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, « rien ne sera possible tant qu'on n'aura pas réformé l'architecture et le pilotage du système ». Autrement dit, avant d'exhorter les partenaires à jouer le jeu, il faudrait en redéfinir les règles. « Je veux bien que le gouvernement découvre les vertus de la maîtrise médicalisée que nous avions expérimentée avec succès en 1994, ironise le Dr Chassang. Mais qu'on donne à la profession les moyens et le temps de la mettre en uvre. Or on vient de perdre huit ans. » Si l'on en croit enfin la Fédération des médecins de France (FMF), l'appel du gouvernement a peu de chances d'être entendu. « Roulés, bafoués, trompés, les médecins ont été poussés au désespoir par les caisses et la tutelle », constate le Dr Bernard Pommey, vice-président du syndicat, qui apporte son « soutien » au mouvement de déconventionnement des spécialistes.
Mutualité : des mesures qui touchent surtout la médecine de ville
A Toulouse, les quelque 3 600 délégués mutualistes, réunis en congrès, ont adopté à la quasi-unanimité (18 abstentions, 3 voix contre) 25 propositions pour réformer l'assurance-maladie (« le Quotidien » du 16 juin). En voici les principales :
- définir des priorités de santé quinquennales,
- créer une haute autorité en santé indépendante chargée de déterminer l'utilité médicale des interventions et des médicaments, et, donc, ce qui est éligible au remboursement,
- laisser les mutuelles et l'assurance-maladie fixer leurs prestations respectives,
- instaurer un crédit d'impôt pour faciliter l'accès de tous à une mutuelle solidaire,
- en médecine de ville, cogérer le risque dans le cadre d'un nouveau partenariat tripartite : une union nationale des caisses et une instance représentative des mutuelles négocieraient avec une instance représentative des professionnels de santé,
- créer un établissement public national rassemblant toutes les données de santé,
- permettre aux généralistes de prendre en charge la quasi-totalité des soins de premiers recours en encourageant les pratiques coordonnées,
- introduire des mécanismes de rémunération au forfait ou à la capitation,
- créer dans les douze mois un accès au dossier médical unique informatisé pour les patients et les professionnels,
- instaurer une recertification périodique des professionnels et une obligation de FMC,
- graduer en trois niveaux l'offre hospitalière pour les soins de courte durée (courants, spécialisés, hautement spécialisés),
- créer les conditions d'une évaluation systématique de l'utilité des médicaments avant et après leur commercialisation,
- mettre fin au système de régulation économique du médicament fondé sur les ristournes des laboratoires.
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