QUELLES QUE SOIENT ses raisons, le brusque retour aux urnes de l'électorat de gauche aura eu des conséquences politiques assez considérables. La droite répète à l'envi qu'elle est la majorité, elle ne peut pas nier que sa marge de manoeuvre est légèrement réduite et que, dans l'inattendue vague rose, elle a perdu quelques-uns de ses bons éléments.
La consternation qui a suivi la défaite d'Alain Juppé est significative à plus d'un égard. Une victoire éclatante au terme d'une bataille navale n'empêche pas les vainqueurs d'y laisser parfois un porte-avions. Et même deux croiseurs et un torpilleur. Car là où la droite voulait reprendre des bastions de la gauche, elle a dû battre en retraite : Arnaud Montebourg n'a pas cédé à l'assaut d'Arnaud Dangean à Louhans, Sylvie Noachovitch n'a pas eu raison de Dominique Strauss-Kahn, Arno Klarsfeld a été battu par Sandrine Mazetier dans le 12e arrondissement de Paris, le Pr Jean-Michel Dubernard a été battu par le Pr Touraine, après avoir représenté les Lyonnais pendant 19 ans. De même Renaud Donnedieu de Vabres a été battu en Indre-et-Loire.
Le ressentiment de Sarkozy.
Certes, la gauche aussi, qui s'enorgueillit d'avoir gagné un siège à Paris, a perdu des plumes, par exemple à Créteil où Roger-Gérard Schwartzenberg, radical de gauche, est battu après 21 années de mandat ininterrompu. Mais, dans l'ensemble et compte tenu du contexte créé par le premier tour, elle s'est livrée littéralement à une démonstration de force.
On n'a pas de mal à imaginer le ressentiment du président Nicolas Sarkozy, et même sa colère : il a dû intervenir en fin de semaine dernière pour désavouer, ou presque, la TVA sociale (il ne l'appliquera pas, dit-il, si elle doit avoir des effets inflationnistes) ; et il doit avoir une dent contre Jean-Louis Borloo qui a répondu maladroitement à une question-piège de Laurent Fabius sur le sujet, et a déclenché de la sorte un débat majeur puisqu'il aurait inversé le cours des événements. M. Sarkozy regrettera-t-il le départ forcé d'Alain Juppé ? On n'en est pas sûr dans la mesure où il l'a invité à son gouvernement par déférence pour un ancien Premier ministre et surtout parce que M. Juppé ne lui a pas barré la route, ce qu'il aurait pu tenter de faire au nom de sa fidélité à Jacques Chirac. Mais au fond, le président ne préfère-t-il pas tourner définitivement la page du chiraquisme ? Il n'aura rien fait pour que M. Juppé fût battu à Bordeaux mais les hasards cruels du vote lui offrent la possibilité, même si c'est encore tôt, de faire un nouveau départ.
SARKOZY DOIT TENIR COMPTE DU RETOUR DE LA GAUCHE ET MODIFIER SA STRATEGIE
Amour et politique.
Quant à la gauche, tout à la joie de ne pas avoir été désertée par ses troupes traditionnelles, il ne faut pas qu'elle soit distraite de ses ardentes obligations. L'annonce de la séparation du couple Royal-Hollande apporte au tableau électoral la touche du dramaturge qui étonne, surprend et même émerveille, car le bon peuple veut croire qu'il existe un lien inévitable entre amour et politique et que son sort dépend parfois du bonheur ou du chagrin du prince.
On dira toutefois, en même temps que Claude Bartolone, que, décidément, Mme Royal a des timings bien personnels, qui fait une annonce « people », comme on dit aujourd'hui, le soir d'élections législatives. La popularité passe par des voies impénétrables : mariage ou divorce y contribuent indifféremment. Mais est-ce bien sérieux ?
Ce qui est sérieux, c'est le coup sévère que les réformes ont pris entre-temps, avec un retour en force de la gauche (mais oui, puisqu'elle gagne 40 sièges), et l'intolérance apparente des Français pour tout projet qui exigerait d'eux quelque sacrifice. Il faut environ 18 mois pour qu'une mesure socio-économique porte ses fruits. Ce laps de temps a coulé plus d'un gouvernement, victime de la méchanceté apparente qu'il fait à ses mandants, et plus tard ébranlé sinon démoli par son projet qui enfin semble utile. Si on a élu des députés de gauche pour faire barrage à M. Sarkozy, c'est parce qu'on ne veut pas payer plus pour sa santé, qu'on ne veut pas travailler plus longtemps pour sa retraite, et qu'on ne souhaite pas tenter l'expérience d'une réduction des charges sociales des entreprises pour leur permettre d'embaucher davantage.
Il y a autour du plan général de la nouvelle majorité une furieuse bataille de mots, de ces mots qui tuent les idées : cadeaux aux riches, taxer les pauvres, prendre aux salariés ce que l'on donne au patron, voilà des expressions qui font florès et suffisent à rendre impopulaire le plus dynamique des gouvernements. Allons, admettons-le, la droite a une belle majorité, mais elle va avoir la vie dure. Elle doit donc prendre, si elle veut survivre tout en conduisant les réformes, de nouvelles résolutions. D'abord communiquer un peu moins, n'est-ce pas M. Borloo ? Ensuite accroître l'ouverture, si elle le peut, car il n'y a plus beaucoup de gens à débaucher à gauche, enfin essayer d'associer autant que possible la gauche à ses décisions.
Plus facile à dire qu'à faire dans un pays où, après la fulgurante ascension de Nicolas Sarkozy, la formation d'un gouvernement tout à fait extraordinaire et un premier tour des législatives inespéré, tout redevient comme avant : si la droite est forte, elle engage les réformes, mais si la gauche est forte, elle les bloque.
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