Et si la santé était régionalisée en Alsace ? C'est ce que propose le rapport d'un groupe de travail, composé de professionnels de santé et d'élus régionaux alsaciens, qui s'est réuni pendant dix-huit mois, à l'initiative d'Adrien Zeller, président UMP du conseil régional d'Alsace et ancien secrétaire d'Etat chargé de la Sécurité sociale auprès de Philippe Séguin de 1986 à 1988. Ce groupe de travail, présidé par le Dr Jean-Louis Lorrain, sénateur UMP du Haut-Rhin, propose que l'Alsace devienne le « premier terrain d'expérimentation » de la régionalisation de la santé.
Pour Adrien Zeller, l' « échelon régional » est en effet « une alternative pertinente aux risques de privatisation ou d'étatisation », à l'heure où un Haut Conseil se met justement en place pour réfléchir à l'avenir de l'assurance-maladie (voir page 3). Le rapport de ce groupe de travail alsacien, qui « n'engage aucunement les institutions d'où sont issus les membres du groupe », s'inscrit aussi dans le contexte de décentralisation programmé par le Premier ministre, tout en s'en démarquant. Le projet gouvernemental de décentralisation prévoit par exemple la participation des conseils régionaux au financement des hôpitaux, un dispositif sur lequel le président de la région Alsace se dit « réservé ». Le rapport du groupe de travail a en effet une autre approche de la régionalisation.
Pas une « prise du pouvoir »
« Nous ne revendiquons pas le pouvoir (en santé) pour la région comme nous l'avons fait dans d'autres domaines, explique Adrien Zeller. Nous voulons mettre dans le débat l'idée qu'au plan régional il est plus facile de fédérer, d'impliquer les acteurs, (alors qu') au plan national on exacerbe les résistances, les corporatismes. » Le conseil régional qu'il préside revendique d'autant moins le financement de la santé que les dépenses liées à l'hospitalisation, à la médecine libérale et aux médicaments représentent en Alsace « 3 milliards d'euros par an, soit plus du double des budgets réunis de la région Alsace et des deux départements alsaciens », précise le rapport.
Le groupe de travail alsacien préconise donc une autre piste, celle de la création d'une « autorité régionale de la santé », qui gérerait, avec de réels pouvoirs de gestion et d'organisation du système de soins, une enveloppe déléguée par le système national d'assurance-maladie. L'existence de cette autorité régionale, souligne Adrien Zeller, « ne remet pas en cause la solidarité nationale », tout comme l'actuel régime complémentaire spécifique d'assurance-maladie pour les salariés du secteur privé d'Alsace-Moselle.
Telle que la conçoit le groupe de travail, l'expérimentation s'appuierait sur le savoir-faire capitalisé par les différentes structures régionales existantes (ARH, URCAM, URML...). L'autorité régionale de santé aurait une instance délibérante, le conseil régional de la santé (avec un rôle décisionnaire et non pas consultatif comme le conseil du même nom institué par la loi Kouchner du 4 mars 2002), composé d'une cinquantaine de représentants des assurés et cotisants, des offreurs de soins, des usagers et de quelques élus régionaux et locaux. Ce conseil régional de la santé « nouvelle formule », dont les membres seraient élus au moins en partie au suffrage direct, serait « pleinement responsable devant ses mandants (...) de sa gestion et des fonds qui lui seraient délégués ». Enfin, le conseil d'administration de l'autorité régionale et son président formeraient « l'exécutif collégial du conseil régional de la santé ».
Selon ses concepteurs, l'autorité régionale de la santé ne se résume pas à une simple déconcentration des pouvoirs de l'Etat. Elle serait une instance d'arbitrage et de régulation pour les établissements hospitaliers comme pour la médecine de ville.
Le président du groupe de travail alsacien affirme que son projet « n'est pas impossible », même s'il est conscient des obstacles. Tout d'abord, il faudrait au préalable que le gouvernement revoie son projet de loi constitutionnelle sur l'organisation décentralisée de la République pour étendre « aux instances mi-politiques, mi-professionnelles » le droit à l'expérimentation accordé pour l'instant aux collectivités territoriales et à leurs groupements.
D'autre part, le rapport du groupe de travail mise sur certains changements qui ne sont pas acquis à ce jour : fongibilité des enveloppes ambulatoires et hospitalières au niveau territorial, mise à disposition de statistiques fiables et actualisées régulièrement pour un pilotage fin des dépenses, conventionnement des professionnels de santé libéraux en fonction du choix de l'implantation géographique, délégation régionale de la planification des formations sanitaires initiales et continues, plus grande liberté de gestion des hôpitaux publics, définition d'un panier de soins... Le rapport suggère notamment une modulation territoriale des honoraires des professionnels libéraux et une rémunération spécifique pour chaque « médecin pivot » chargé d'orienter les patients dans leur « périple thérapeutique », tout en les responsabilisant.
Il reste que la régionalisation n'aura pas que des avantages en Alsace. Yves Bur, député du Bas-Rhin et vice-président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, fait remarquer que les dépenses d'assurance-maladie augmentant en Alsace plus rapidement qu'ailleurs, « la régionalisation nous amènera à une rigueur plus importante que la moyenne nationale ».
Régions et santé ont peu d'atomes crochus
En 1996, les nouvelles agences régionales d'hospitalisation (ARH), créées par le plan Juppé, étaient innovantes à l'époque, mais elles n'ont consisté qu'à déconcentrer le pouvoir de l'Etat en matière d'organisation de l'offre hospitalière de soins.
Dans son programme à l'élection présidentielle, le candidat Chirac a promis la création d'agences régionales de santé (ARS) bénéficiant d'un transfert de compétences. Finalement, la décentralisation programmée par le gouvernement Raffarin concernera assez peu la santé. Les régions devront s'impliquer davantage dans la politique d'offre de soins et participer à l'élaboration des schémas régionaux (SROS). Elles sont également appelées à participer au financement des hôpitaux et à la formation des infirmières.
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