LE NORD - PAS-DE-CALAIS n'a pas attendu le dernier spectacle de Dany Boon, où le comique dresse, accent ch'timi à l'appui, un tableau drolatique des vacances estivales à Berck, pour faire sa propre promotion. Une différence, tout de même : le cœur de cible. La région tente d'attirer sur ses terres non pas le touriste en maillot de bain, mais le médecin en blouse blanche. Il faut dire que la situation est assez désespérée.
Un zoom sur la démographie médicale suffit à s'en persuader. Les départements du Nord et du Pas-de-Calais, avec leurs 4 millions d'habitants, comptent 280 médecins pour 100 000 habitants, une densité largement inférieure à la moyenne nationale (332). L'écart est encore plus flagrant pour les spécialistes, psychiatres et anesthésistes en tête. Dans ce contexte, les établissements connaissent des difficultés pour recruter des praticiens hospitaliers. Près de 20 % des postes de PH étaient vacants au 1er janvier 2000. Et ce sera pire demain : d'après la Drees (1), le nombre global de médecins dans la région devrait baisser de 4,5 % entre 2000 et 2020 si rien n'est fait.
Pour enrayer cette sous médicalisation chronique, l'ensemble des acteurs régionaux - facultés de médecine, conseils régional et généraux, établissements de santé publics et privés, assurance-maladie, ordre des médecins, représentants des internes, agence régionale de l'hospitalisation (ARH), et Drass - se sont mobilisés et ont engagé une démarche commune pour le développement des ressources médicales dans la région. Un plan régional d'action a été lancé en 2000. Sa mission : développer, sur tout le territoire régional, l'attractivité professionnelle des médecins spécialistes depuis la formation jusqu'à l'installation et le déroulement de carrière.
Fort taux de fuite des étudiants.
Objectif numéro un : augmenter la part d'étudiants lillois qui reste pour faire leur internat sur place. Ils sont trop nombreux à quitter la région après le concours : le taux de fuite frôle les 60 %, deux fois plus que la moyenne nationale. La faculté de médecine de Lille a donc décidé de renforcer la préparation au concours de l'internat. Résultat : « Pour la première fois cette année, plus de la moitié des internes qui ont choisi Lille sont des Lillois : ceux-là, on peut espérer les garder, contrairement aux Marseillais, qui pleurent en arrivant ici ! », dit Jean-Paul Francke, doyen de la faculté. La région ne renonce à aucun moyen pour motiver ses étudiants. Mal dotée en postes de clinicat, elle a décidé, dans le cadre du postinternat, de créer des postes d'assistants spécialistes à temps partagé - 57 depuis 2001. Une expérience inédite en France. « Cela permet à un jeune médecin de partager son temps entre le CHU, où il continue à se former, et un autre établissement où des postes de PH sont vacants ; un certain nombre de postes ont ainsi pu être pourvus », explique le doyen.
Objectif numéro deux du plan d'action : fixer durablement dans le Nord - Pas-de-Calais des médecins originaires d'autres contrées. Un gros travail sur l'image de la région a été entrepris. Le comité régional du tourisme organise des visites pour vanter le charme des deux départements. Médecins et internes peuvent aussi faire la tournée des établissements de santé, afin de découvrir le dispositif de santé local. Lequel ne manque pas d'atouts, à en croire Michel Cucci, de l'ARH Nord - Pas-de-Calais : « Nous avons des hôpitaux plutôt modernes, restructurés, avec des plateaux techniques neufs et du bon matériel. Notre région est la troisième de France pour son nombre de réseaux (32). » Des arguments insuffisants, puisque 350 postes de PH sont à ce jour vacants (et 350 autres sont occupés transitoirement par des contractuels).
Michel Cucci juge la situation paradoxale : « La région a des besoins curatifs supérieurs à la moyenne nationale - nous avons la plus forte mortalité précoce par cancer de France - et une offre de soins inférieure à la moyenne nationale ; ce n'est pas normal, car nous payons les mêmes cotisations que les habitants du sud où il y a trois fois plus de professionnels de santé. »
Décollage.
L'ARH du Nord - Pas-de-Calais réfléchit depuis des années aux moyens de rétablir l'équité dans l'accès aux soins. Avec la Fédération hospitalière de France et le CHU de Lille, elle a eu l'idée d'un site Internet qui mettrait en ligne la liste et le profil des postes hospitaliers vacants dans la région. Le lancement de www.medecinsdunord.com, en 2002, est passé inaperçu. Mais un relookage du site l'année suivante lui a permis de se faire connaître. Le nombre de connexions décolle, et les premiers résultats se font sentir. « On estime à une vingtaine, le nombre de recrutements réellement produits par cette première prise de contact », indique Marc Reynier, directeur des affaires médicales du CHU de Lille. De jeunes praticiens pour la plupart, originaires des quatre coins de la France ; ils ont pris leurs fonctions dans la vingtaine d'hôpitaux publics et privés engagés dans le plan régional d'action.
Vingt recrutements, c'est peu - « On n'a pas encore réglé le problème », reconnaît Michel Cucci -, mais au moins, c'est un début. Sur le terrain, on place beaucoup d'espoirs dans cette initiative. « Le bouche-à-oreille n'est pas toujours suffisant, les annonces en ligne nous permettent de toucher un public plus large à l'échelle nationale », estime Virginie Vittu, du bureau des affaires médicales de l'établissement psychiatrique Lille-Métropole, à Armantières. L'hôpital a passé une annonce pour deux postes de psychiatres. Deux praticiens, l'un d'Evreux, l'autre de Belgique, se sont montrés intéressés ; leur recrutement est en cours.
L'hôpital de Lens, le plus gros établissement de santé du Pas-de-Calais, compte aussi sur le site Web pour combler tout ou partie de ses 50 postes vacants. Pour des raisons démographiques, mais également financières : « Cela nous permettra de cesser de faire appel à des cabinets de recrutement, service qui coûte très cher : 15 000 euros en moyenne par médecin », espère Francine Breyne, responsable des affaires médicales.
(1) Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, au ministère de la Santé.
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