La santé en librairie
La douleur, construction culturelle et sociale
C'est en 1993 qu'a paru pour la première fois ce livre de l'historienne des sciences de la vie qu'était Roselyne Rey, disparue prématurément en 1995. L'histoire de la douleur qu'elle a élaborée est bien cette « somme intellectuelle » que salue Jean-Louis Fischer en présentant la présente édition en livre de poche. Il souligne également la part de « réflexion sur le présent » que comporte l'ouvrage, un présent sans doute encore marqué, huit ans après la première édition, par un « décalage » entre le progrès des connaissances et des traitements.
A analyser la douleur telle que soignants et littérateurs la laissent transparaître aux différentes époques de l'antiquité gréco-romaine à nos jours, on se persuade vite qu'il s'agit d' « une construction culturelle et sociale » autant que d'un phénomène anatomo-physiologique et psychologique. En sorte qu'à côté de la large place donnée à l'évolution des théories et des connaissances sur les mécanismes neurobiologiques de la douleur, se trouvent posées des questions d'ordre philosophique. La moindre d'entre elles n'est pas la dernière : « La douleur est probablement pour le médecin comme pour le malade une remise en cause des rôles traditionnellement dévolus à chacun, une sorte d'expérience limite dont il n'est possible de sortir que dans la réappropriation individuelle - ou la conquête -, par chacun, de son statut de sujet, au péril de sa vie. »
« Histoire de la douleur », Roselyne Rey, La Découverte/Poche, 420 pages, 85 F (12,96 euros).
Hallucinés et hallucinations créatrices
Musset, Baudelaire, Rimbaud, Maupassant, Lénine, Dostoïevski, Flaubert, Van Gogh... On comprend que le Pr Guy Lazorthes ait été tenté d'explorer le monde des « hallucinés célèbres » et les lecteurs ne se plaindront pas qu'il leur ait fait partager ses découvertes.
Professeur de neuroanatomie et de neurochirurgie, l'auteur se devait logiquement de commencer son analyse par une étude clinique de « ce curieux phénomène » qui a passionné autant de littérateurs que de médecins, les premiers fournissant des descriptions d'une grande précision, inspirées parfois par leur propre expérience, les seconds s'efforçant d'en démonter les mécanismes.
De l'analyse du neurochirurgien, les hallucinations ressortent, en principe distinctes de l'illusion, du rêve, de l'hallucinose, comme « activité injustifiée et incontrôlée des centres cérébraux dans lesquels s'inscrit la représentation des choses, personnes, paysages, paroles, chants, odeurs ».
Le cas d'un certain nombre d'hallucinés célèbres, qu'ils soient « dits mystiques », toxicomanes, alcooliques, encéphalopathes, épileptiques, soulève autant d'intérêt diagnostique qu'humain. Spirites, extralucides, prophètes, illuminés, extatiques, possédés relèvent d'interprétations diagnostiques variables selon les époques et selon les personnages atteints : faut-il suivre ceux qui voient une épilepsie à l'origine des voix de Jeanne d'Arc ou une tuberculose méningée à la source de l'extase religieuse de Pascal ? Les mécanismes sont moins mystérieux quand les hallucinations peuvent être rapportées à l'alcoolisme, et en particulier à l'absinthe, ou à des produits justement qualifiés d'hallucinogènes. L'auteur n'avait que l'embarras du choix pour choisir quelques artistes représentatifs de telles intoxications et entrer dans le détail de leurs visions et délires ; les vies brèves de Musset, de Baudelaire, de Rimbaud, de Toulouse-Lautrec disent les dégâts qui succèdent rapidement aux bienfaits des toxiques.
Troisième groupe d'hallucinés, celui dont la tête est malade soit du fait de l'affaiblissement des fonctions sensorielles et de l'isolement chez le vieillard, soit du fait d'une paralysie générale, soit du fait d'une psychose. Particulièrement des syphilitiques célèbres : s'il avait été traité, Maupassant n'aurait sans doute pas écrit « le Horla », mais aurait eu le temps d'écrire bien d'autres uvres, tout comme les frères Goncourt, si Jules avait connu les antibiotiques. Et l'on peut se demander ce que le monde serait devenu si Lénine n'avait pas plongé dans la folie syphilitique en 1922.
L'épilepsie focalisée, bien sûr, est bonne pourvoyeuse d'hallucinations et de célébrités artistiques, même si des doutes subsistent sur un diagnostic qu'aucun EEG ne peut aujourd'hui confirmer ou infirmer. Dostoïevski a fait grand bruit et grand usage littéraire de ses crises, au contraire de Flaubert, qui a préféré se retirer du monde dès la première atteinte. Quant à l'épilepsie de Vincent Van Gogh, elle est, pour le neurochirurgien, directement lisible dans les tableaux du peintre.
A la fin du livre, on est presque tenté de trouver enviables les hallucinations ; elles le sont sans doute davantage pour ceux qui profitent des uvres artistiques auxquelles elles ont vraisemblablement contribué, que pour leurs victimes, même géniales.
« Les Hallucinés célèbres », Guy Lazorthes, éditions Masson, 133 pages, 129,03 F (19,67 euros).
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